Embarquement immédiat sur Cap vert (44)

Beaucoup réussissent, sur terre ou sur mer, à offrir aux personnes avec handicap un séjour hors du commun. Mais, personne n’avait jusque là pensé à le faire le long des canaux fluviaux. Si beaucoup en ont rêvé. Cap Vert l’a réalisé. Voyons comment.
L’accès au tourisme pour les personnes en situation de handicap reste à conquérir, surtout si l’on revendique, à juste raison, qu’un tel droit puisse se concrétiser dans les équipements communs aux populations valides. Une autre approche, qui constitue une dimension complémentaire, relève de l’aménagement de dispositifs spécialement conçus et aménagés pour les personnes nécessitant des adaptations propres à leur déficience. Et l’une des plus belles illustrations de cette démarche est sans doute l’aventure de l’association Cap Vert qui fait naviguer sur le canal de Nantes à Brest, depuis bientôt dix ans, des publics concernées par un handicap (moteur sensoriel ou mental), mais aussi des personne âgées accueillies dans une maison de retraite ou un centre spécialisé ou encore des centres de vacances. Une idée peut sembler irréaliste ou utopique. Quand on s’en donne les moyens, il est possible de la concrétiser. C’est l’aventure peu commune que nous allons découvrir à présent.

Du rêve …

Un tel projet n’aurait jamais pu se concrétiser sans l’imagination de Nicolas Marichal qui accomplit son service civil, il y a presque vingt ans, en tant qu’objecteur de conscience, au sein de la maison d’accueil spécialisée du Loroux Bottereau, à la périphérie de Nantes. Il rêve de proposer aux personnes qu’il y a côtoyées la pratique du tourisme fluvial, sur les canaux bretons qu’il connaît si bien. Pour concrétiser cette ambition, il crée l’association Cap Vert, en 1995, acronyme signifiant « Centre d’Activité en Péniche Vacances Éducatives par la Rivière et le Tourisme ». La réflexion autour d’une possibilité d’acquisition d’une vieille péniche qui pourrait être réhabilitée tourne court : trop risqué en terme de fiabilité et trop cher à l’achat. Faire construire une telle embarcation, par un chantier naval ? Le coût est prohibitif : pas moins d’un million de Francs de l’époque (152.500 euros). Des financeurs ont bien été trouvés : la mairie de Nantes, le Conseil général de Loire Atlantique, la région des Pays-de-Loire, la Fondation de France, Le Crédit Mutuel … Mais, on est loin du compte. Les subventions accordées ne sont pas suffisantes. Cap Vert décide alors de se tourner vers le monde associatif et vers l’économie sociale et solidaire. L’association « Histoire de la Construction Navale » regroupe les anciens des Chantiers navals Dubigeon, fermés depuis 1987. Ce sont des passionnés qui agissent pour conserver à Nantes le patrimoine industriel de la construction navale. Parmi ses membres, l’on trouve des techniciens hors pairs, ayant gardé un précieux savoir faire. La perspective de participer à la construction d’un bateau, fut-il d’eau douce, les enthousiasme tout de suite. Leurs conseils et leur connaissance technique vont constituer un atout essentiel pour la suite de l’entreprise. Troisième partenaire de l’aventure, l’association ATAO qui pilote des chantiers d’insertion et qui va prendre en charge la construction.

… à la réalité

La première étape débute en novembre 1997, par l’ouverture du bureau d’étude. Construire un bateau nécessite de tirer des plans. Ce sont des personnes porteuses de handicap et des chômeurs qui vont s’y atteler, aidés par des bénévoles, anciens de la navale. L’un, au RMI, apportera sa précieuse collaboration d’ancien traceur coque. D’autres réussissent à récupérer du matériel permettant d’opérer en s’appuyant sur un logiciel de dessin assisté par ordinateur. La précision dans le calcul des dimensions est de rigueur, si l’on veut que la péniche puisse passer sous les ponts et à travers les écluses, sans rester coincée ! En avril 1998, quinze salariés, en contrat emploi solidarité, recrutés par ATAO arrivent sur le chantier. Les premières tôles sont livrées, deux mois après. Ils seront soixante quinze à se succéder, tout au long d’une mise en oeuvre qui, prévue initialement sur un an, s’étendra sur trois. C’est que l’insertion se caractérise par deux problèmes inhérents à la démarche même : en amont, il faut tenir compte du rythme de salariés qui reprennent souvent le travail, après une plus ou moins longue période d’éloignement de l’emploi. Leur assiduité doit être accompagnée et encouragée. En aval, quand ils ont acquis un savoir faire, comme celui de soudeur, par exemple, grâce notamment au partenariat établi avec EDF, ils trouvent du travail et quittent le chantier. Difficulté donc à former des professionnels et à les garder quand ils sont formés, ce qui est après tout l’objectif de l’opération d’insertion. Le 7 avril 2001 est un grand jour : la coque, enfin terminée, est mise à l’eau. La péniche est lancée à l’ancienne sur une rampe restaurée, pour l’occasion. Reste encore à aménager l’intérieur. Ce qui va prendre, à nouveau, trois années : les bénévoles affluent, électriciens pour les uns, plombiers pour les autres, motoristes encore… Cap Vert qui regroupait sept ou huit adhérents en compte bientôt près de quatre cents gagnés par l’enthousiasme d’un projet totalement fou.

Un aménagement adapté

La péniche de Cap Vert est de grande dimension, puisqu’elle est longue de près de vingt sept mètres et large quatre mètres cinquante six. Une ample passerelle, en pente douce, permet de monter sur le pont, facilitant l’accès aux fauteuils roulants. Si l’espace que l’on découvre semble étonnamment vide, c’est parce qu’il a été dégagé de tout obstacle pouvant gêner une libre circulation. Un grand parasol, néanmoins, permet de se tenir à l’abri du soleil. Pour gagner la partie intérieure, il est nécessaire de franchir un escalier pentu, en s’accrochant aux garde-corps. Les passagers à mobilité réduite peuvent aussi descendre dans l’habitacle et en remonter, à leur guise, bénéficiant de la même liberté de déplacement que les valides. Et ce, grâce à l’ascenseur qui facilite le transfert vers les cabines. C’est d’ailleurs la seule installation visible en plein milieu du pont. A l’intérieur, une grande pièce de vie a été aménagée, avec précision, sur les conseils d’une ergothérapeute : des hublots sont disposés à hauteur des yeux des personnes en fauteuil, qui peuvent se déplacer aisément et se faire face autour de tables suffisamment grandes et coulissantes grâce à un ingénieux système de rail, sans que leurs cale-pieds ne se heurtent. Deux cabines sont dotées, l’une de huit et l’autre de six lits-couchettes superposés, celles du haut pouvant se relever à l’aide de crémaillères, facilitant ainsi l’accès d’un lève personnes. Les deux blocs sanitaires ont été conçus, pour favoriser le déplacement en fauteuil. Le lavabo est réglable en hauteur, la robinetterie est dotée d’un levier et un miroir couvre la cloison du bas jusqu’en haut, reflétant l’image du passager quelle que soit sa hauteur. Une chaise amovible permet le transfert des personnes à mobilité réduite sous la douche. L’ensemble a valu à Cap Vert la remise, en 2006, du label « tourisme et handicap », par le ministre du tourisme.

Association à but non lucratif

Si une navigation liminaire s’est déroulée en 2003, alors que la péniche n’était pas encore totalement équipée, ce n’est qu’avec l’obtention de l’homologation « bateau à passager », en avril 2004, que la première saison a vraiment pu débuter. L’association qui gère cette péniche n’est pas là pour faire des bénéfices. Une saine gestion permet de préserver la santé financière. Avec les frais de navigation, l’entretien et les salaires du pilote et du matelot organisant et animant les séjours, il faut faire rentrer 100.000 euros, au minimum, par saison. Les trois précédentes années ont permis d’équilibrer les dépenses, à raison de 125 à 128 journées de sorties. En 2013, il manquera 15.000 euros pour boucler le budget. Certes, il n’y a pas d’amortissement sur l’achat, puisque la construction a été intégralement financée. Mais, l’association ne reçoit aucune subvention de fonctionnement. Pas même la place à quai qui aurait pu être offerte par la ville de Nantes et qu’elle doit payer, sans bénéficier pour autant d’un quelconque tarif préférentiel. Ville de Nantes dont la réponse tarde à venir pour ce qui est de la mise à disposition de places de parking, à proximité de la péniche, qui permettraient aux minibus des passagers de trouver à se garer, sans avoir à payer bientôt aussi cher que le coût de la traversée. Voilà un équipement prestigieux dont pourrait, à juste titre, se prévaloir une commune qui a remporté, par trois fois, la première place du baromètre de l’Association des paralysés de France quant à l’accessibilité, avant de passer derrière Grenoble ! Autosuffisant financièrement, grâce aux prix serrés de ses prestations, Cap Vert doit juste aller à la recherche de subventions, quand une grosse dépense survient, comme cette mise sur cale, nécessaire cet hiver pour obtenir le renouvellement de son agrément pour transporter du public : cela coûtera quand même entre quarante et quarante cinq mille euros !

Mode d’emploi

Toute l’action de cette association tend vers un seul objectif : permettre aux personnes porteuses de handicap de bénéficier du tourisme fluvial et ce à un tarif particulièrement attractif (voir encadré). Comme les passagers valides, elles peuvent ainsi s’offrir une déconnection totale. Ici pas de télé, ni d’internet, de journaux, ni d’infos. La destination privilégiée reste le canal de Nantes à Brest, entre Nantes et Redon. On navigue à quatre kilomètres heure, à raison de six heures par jour. On s’arrête fréquemment, pour traverser les nombreuses écluses, soit vingt minutes en moyenne, à chaque fois. La navigation sur rivière ou sur des canaux, c’est l’éloge de la lenteur qui s’oppose au stress de la vie moderne où l’on court toujours après quelque chose. Même si les obligations du quotidien continuent à s’imposer pour les personnes embarquées et leurs accompagnateurs (toilette, repas, coucher), celles-ci se vivent d’une manière plus décontractée, l’attrait apaisant d’une eau calme incitant à la détente, à la relaxation et à un certain détachement : « on prend le temps de vivre librement à son rythme ». Et puis, il y a la beauté du paysage des berges avec ses châteaux, mais aussi sa faune et sa flore que l’on découvre tranquillement et à loisir. On croise plusieurs espèces d’oiseaux, particulièrement des hérons, des cormorans ou des canards, mais aussi tout types d’autres bateaux : à voile ou à moteur, sans oublier de simples barques de pêcheurs à rame ou d’autres encore propulsées par des avirons. On peut descendre sur les chemins de halage où il y a toujours quelque chose à découvrir. Mais on peut aussi choisir de rester sur le pont, pour se prélasser et s’imprégner du déplacement nonchalant et indolent. Stéphane Delanoë, pilote de la péniche recruté lui-même, dès le début, après une longue période de chômage, est aussi un ancien cuistot : il veille à proposer une nourriture équilibrée mais aussi recherchée : « avec moi, on ne mange jamais de pâtes, ni de frites : j’essaie de cuisiner original ». Chaque groupe organise son séjour à sa convenance, utilisant tout au long du trajet les ressources touristiques, et ce dans la limite des contraintes de navigation et des règles de sécurité. Le caméscope et l’ordinateur mis à disposition permettent, en outre, de réaliser un DVD souvenir. De nombreux établissements ont déjà essayé. Ils proviennent de tout le grand ouest, mais aussi de la région parisienne. Certains sont même venus de Lille. Voilà une possibilité de loisirs à encourager et à soutenir. D’abord pour l’attrait du tourisme fluvial à offrir aux personnes accueillies en institution. Ensuite, pour la qualité de la prestation offerte qui tient tout autant au professionnalisme des deux permanents qu’à la passion avec laquelle ils se consacrent à leur tâche. Enfin, pour le contenu social et solidaire d’une l’initiative qui démontre qu’il n’est pas nécessaire d’être commerçant, pour proposer une prestation sortant de l’ordinaire et particulièrement généreuse et humaine où l’excellence se conjugue avec l’authenticité.

 

Exemple de prix pour une croisière sur la péniche « Cap Vert »
- Un groupe de vingt quatre personnes maximum pour une sortie à la journée : coût 30 € la journée par personne (y compris les accompagnateurs)
- Un groupe de quatorze places (dont sept accessibles aux personnes à mobilité réduite) pour un séjour comprenant la mise à disposition du bateau et de son équipage, tous les repas, du déjeuner du premier jour au déjeuner du dernier jour, literie, gasoil… Le coût en revient à 65 euros par personne pour un groupe de quatorze sur sept jours et six nuits.
- Une semaine début août est dédiée aux séjours individuels : 466 € tout compris, par personne, 699 € pour les deux, si nécessité d’un accompagnateur.

Renseignements
Tourisme et réservations
Siège : 2 bis boulevard Léon Bureau 44200 Nantes
02 51 82 07 49 / 06 32 30 46 35
Pilote : 06 76 84 00 26
Mail : asso.capvert@orange.fr
Site Internet : www.penichecapvert.com

 

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°1129 ■ 05/12/2013