Quand le passé remonte

Un « ancien » a demandé un rendez-vous. A 44 ans, il ressent le besoin de revoir son ancien éducateur. Le dialogue se tisse sur son présent, ses deux filles, son travail. Peu sur son passé. Au moment de se quitter, l’adulte est comme pris d’une hésitation, puis il lâche : « tu n'oublies pas, que tu es un second père pour moi ». Lourde charge que d'avoir fait naître chez cet homme un tel sentiment qu'il  faut ensuite assumer. Un peu plus tard, un ado accompagné de deux de ses copains interpelle le même professionnel qu’il croise dans l'ascenseur de son service : « bonjour, vous ne me reconnaissez pas ? » Décidément, c’est la journée nostalgie, aujourd’hui ! « Je suis Malik » poursuit le jeune en constatant le trou de mémoire de son ancien référent qui percute aussitôt : c'est le jeune qui, il y trois ans, lors de sa dernière communication téléphonique avec lui, l’avait menacé de venir lui casser la tête ! Qu’il a grandi. Mais, bon là, il a l’air serein. Il semble avoir oublié ses menaces passées. S’il est bien une question que l’on se pose souvent dans cette profession, c’est de savoir qui nous sommes pour tant de jeunes que l’on a accompagnés, parfois brièvement, parfois pendant de nombreuses années. Déployer tant de  patience, de bienveillance et de persévérance parfois, cela laisse des traces chez l’un comme chez l’autre. Tout comme de se mettre en colère, de rentrer en conflit ou de recadrer sèchement. On se croit parfois haï, alors qu’on a laissé plus de traces positives qu’on ne l’imagine. D’autres fois, on espère avoir eu un rôle important. Et l’on se trouve bien prétentieux, n’ayant été qu’un moment fugace dans un parcours. Dans tous les cas, on a traversé un épisode de l’existence de ces jeunes. Ce n’est jamais anodin de surgir dans leur vie et d’en ressortir aussi subitement qu’on y est entré. Ont-ils oublié ? Il n’en est rien parfois. « Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé » dit le renard au petit prince.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1248 ■ 02/04/2019