L’angoisse de l’incertitude

L’opinion publique en a été saisie d’effroi. La petite Vanille, à peine âgée d’un an, a été étouffée par sa propre mère, elle-même souffrant de maladie mentale. L’enfant vivait en famille d’accueil et le juge des enfants avait accordé un droit de visite à son parent. C’est à l’occasion d’une de ces rencontres que l’assassinat a été commis. Même si les autorités judiciaires ont validé les postures des professionnels accompagnant l’enfant, bien des questions surgissent.

Aurait-on pu éviter un tel drame ? Pourquoi a-t-on laissé cette femme en contact avec son enfant, sans la présence d’un tiers ? Les difficultés psychiques de cette mère étaient-elles compatibles avec la protection de sa fille ? Rétrospectivement, ces interrogations apparaissent tout à fait légitimes. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les professionnels ne se les posent pas après qu’un drame se soit produit, mais en permanence tout au long de l’accompagnement éducatif dont ils ont la charge. Et rien n’est moins facile que d’y apporter une réponse fiable et adaptée à 100%.

Car, travailler avec un enfant en danger c’est être systématiquement traversé par le doute. Non, que nous soyons hésitants, à ne pas savoir comment agir. Mais, ce qui nous traverse, c’est la quête d’une certaine circonspection et la recherche d’une forme de discernement qui, tout en préservant la nécessaire protection de l’enfant, prend en compte la complexité de sa situation familiale.

Car, qui sommes-nous pour orienter son destin ? La décision peut bien venir de l’autorité judiciaire. La mesure éducative peut bien faire l’objet de longues et fréquentes réunions où l’on s’interroge sur la manière d’agir. Notre volonté peut bien être sans faille dans le souci de protection. Rien n’y fait.

Un questionnement constant nous taraude. Avons-nous le droit de priver un enfant de son parent ? Devons-nous au contraire tout faire pour le rapprocher de lui ? N’aurions-nous pas dû nous montrer plus conciliant ? Avons-nous eu assez de rigueur dans nos choix ? Que répondrons-nous si plus tard l’enfant nous reproche de l’avoir laissé si longtemps avec des parents toxiques ou au contraire de ne pas avoir donné sa chance à son père, à sa mère ? Avons-nous bien fait ?

Alors, nous avançons, sans garantie, ni assurance de toujours bien faire. L’erreur nous mortifie. Mais, elle ne peut faire sens, car chaque situation est unique et singulière. Ce qui n’a pas fonctionné pour un enfant, pourra être pertinent pour un autre. Et inversement. Aujourd’hui, je pense à la petite Vanille à qui la vie aurait pu tout offrir. Je pense à ses proches dans l’affliction. Mais, je pense aussi à mes collègues professionnels effondrés, culpabilisés, découragés. Et je leur dis : vous avez agi comme vous pensiez devoir le faire. Et, il faut continuer à tout mettre en œuvre non pour agir au mieux, mais le moins mal possible.

Jacques Trémintin – Site de LIEN SOCIAL 11/02/2020