Au-delà du principe de vengeance

Quelle est donc cette pulsion malsaine qui me fit réagir avec cynisme, au lynchage de Khadafi ? Quand la raison reprit le dessus sur la haine, la condamnation de ce crime de guerre, par Amnesty International, s’imposa à moi : les droits de l’homme doivent bénéficier à chacun, quelles que soit les monstruosités qu’il ait pu commettre, y compris quand il a bafoué, pendant 42 ans, ces mêmes droits. Le sort d’un Maréchal Pétain, jugé et condamné à vivre les dernières années de sa vie, enfermé, ruminant de longues nuits sans sommeil sur sa déchéance, est plus approprié que la fin d’un Mussolini fusillé sommairement et pendu par les pieds. Ce qui se joue là, c’est la justice impartiale face à la vendetta, la légalité face à l’arbitraire, la légitimité du châtiment face à la vengeance privée. Comment réagir à l’égard de celui qui vous agresse et fait du mal à ceux que vous aimez ? On peut lui jeter l’anathème, en le réduisant à la lie de l’humanité. Le considérer comme un autre soi-même, ce n’est ni dénier les actes commis, ni minimiser la gravité de leurs conséquences, encore moins renoncer à toute réparation. C’est, au-delà de la sanction, laisser ouverte la porte d’un même espace social partagé. C’est le choix de Michel et de Marie-Claire, dans le remarquable film de Robert Guédiguian « Les neiges du Kilimandjaro ». Malgré leurs blessures, ils se montrent encore capables d’empathie, formidable message de résistance à la vague de sécuritarisme.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1044 ■ 05/01/2012