Choisir son public

Une rencontre tenue, il y a de cela quelques années, avec d’autres formatrices et formateurs terrain, du temps où j’accueillais des stagiaires assistant de service social, m’avait conduit à un échange plutôt cocasse avec une de mes collègues.

Alors que je déclinais ma fonction, elle réagit en affirmant qu’elle n’arriverait jamais à travailler à l’ASE, se représentant ce poste comme particulièrement éprouvant. Accompagner des enfants violés, maltraités, abandonnés était au-dessus de ce qu’elle pouvait supporter professionnellement, me confia-t-elle.

Quand je me suis enquis de son propre poste de travail, elle me révéla intervenir en hôpital psychiatrique. L’occasion pour moi de lui rendre la politesse, en lui expliquant combien la maladie mentale me rendait mal à l’aise et me faisait toucher mon seuil d’incompétence pour faire face aux patients qui en souffrent.

Un point partout, balle au centre ?

Non, une réalité très concrète : celle des limites personnelles dont nous devons être conscients, pour ne pas nous fourvoyer et par là-même tromper les publics quant à notre capacité à bien les accompagner.

Le travail social confronte tout professionnel à des situations stressantes. A l’image des médecins et infirmières qui font face à la maladie engendrant la souffrance et parfois la mort ; à l’image des pompiers qui portent secours aux personnes en danger ; à l’image de la police judiciaire qui enquête sur des crimes. On ne choisit pas d’être travailleur social, sans une forte motivation et certains prérequis. Le fort désir de venir en aide, l’envie d’accompagner les plus fragiles, l’ambition de se confronter aux difficultés d’autrui constituent l’ADN de nos professions. Celles et ceux qui se sont trompés en empruntant cette voie s’en aperçoivent rapidement. Ils y renoncent à un moment ou à un autre de leur formation (cela arrive jusqu’en troisième année de préparation au diplôme) ou dans les premiers temps de leur premier poste.

Le champ d’intervention est suffisamment vaste pour que chacun(e) choisisse le public avec lequel il se sent le plus à l’aise : personnes souffrant d’un handicap ou des troubles du comportement, vivant à la rue ou sous-main de justice, confrontés à la grande précarité ou à une situation de toxicomanie, en demande d’accompagnement social etc, etc, etc…

Il arrive qu’un professionnel fasse toute sa carrière dans un même secteur, quand un autre fera le choix d’un parcours bien plus diversifié, passant d’un public à un autre.

Il est possible qu’un professionnel change de métier et se réoriente au cours de sa vie, le travail social n’ayant été qu’une étape, quand un autre restera au sein de l’action sociale jusqu’à sa retraite.

Il se peut qu’un professionnel vive un épuisement qui le contraint à changer de secteur d’activité, quand un autre résistera aux angoisses inhérentes à ne voir que des situations problématiques.

Il est des professionnels qui sont en capacité de s’adapter à toutes les problématiques, quand d’autres peuvent parfois appréhender d’être confrontés à un autre public que celui auquel il se confronte avec bien plus d’aisance.

Au final, intervenir en protection de l’enfance n’est pas en soi plus éprouvant que de le faire auprès de SDF, de malades mentaux, de victimes de violence conjugale ou de malades alcooliques.

« Bienvenue sur le site de Jacques Trémintin, travailleur social qui n’a cessé d’écrire. Référent à l’aide sociale à l’enfance de 1992 à 2020, partie prenante de Lien Social de 1995 à 2023, contributeur au Journal du droit des jeunes de 1995 à 2017, pigiste dans le Journal de l’animation depuis 1999… l’accompagnement des enfants et familles, le maniement de la plume ou du clavier, l’animation de colloques ou de formations répondent au même plaisir de transmettre. Ce que fait aussi ce site, dont le contenu est à libre disposition à une seule condition : savoir garder son esprit critique et ne rien considérer d'emblée comme vrai ! »

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