Mieux comprendre l’Aide Sociale à l’Enfance

L’ASE (Aide sociale à l’enfance) véhicule autant de fantasmes que de préjugés, de représentations fantaisistes que de réalités tragiques. On l’accuse tour à tour d’en faire trop, en enlevant arbitrairement des enfants à leurs parents, tout autant que de ne pas en faire assez, en étant incapable de faire disparaitre les maltraitances sur enfants. Ce qui renforce encore la confusion, c’est que cette administration à la réputation de puissance se révèle un colosse aux pieds d’argile, ses moyens d’intervention ne réussissant pas à répondre aux besoins qui ne cessent de s’amplifier. Rajoutons le secret et l’entre-soi d’une institution particulièrement hermétique ! Difficile d’en faire le tour en quelque pages. Ce dossier a choisi de partir le plus possible des questions que se pose le candide.

 

Des fictions si réalistes

Comment réussir une description explicite et concrète de l’ASE ? Peut-être, en commençant par ces quatre vignettes, totalement imaginaires, mais si proches du public en grande souffrance auquel sont confrontés les professionnels qui y travaillent.

 

Tarik (8 ans)

« Je vivais avec ma maman et Yvon, mon beau-père. Je n’aimais pas quand Yvon, il buvait, parce qu’il devenait méchant et me tapait. Ma maman essayait de me protéger, mais alors, c’est elle qui recevait des claques. Elle en a parlé à l’assistante sociale du quartier qui lui a proposé l’aide d’une éducatrice. Une dame qui s’appelle Alice est venue nous voir. Elle a pris le temps de parler avec moi, mais aussi avec ma maman et avec Yvon. Cela a été bien mieux, pendant les premiers temps. Puis, mon beau-père a recommencé. Alice a alors prévenu le juge qui a décidé que j’irai en famille d’accueil. Au bout de quelques mois, ma mère s’est vraiment fâchée contre mon beau-père. Elle lui a demandé de partir. Alice a commencé alors à dire que je pourrais peut-être revenir vivre chez ma maman. Le juge a dit qu’il était d’accord. Depuis que je suis rentré à la maison, tout va bien. Alice continue à venir, pour voir comment ça se passe. »

 

Virginie (15 ans)

« J’ai 15 ans. Mon père n’arrêtait pas de me faire des choses. Il a commencé quand j’avais 9 ans. Il me disait que tous les papas font ça. Mais qu’il fallait le dire à personne. J’en ai quand même parlé à ma meilleure copine qui a tout raconté à sa mère. Un soir, j’ai vu arriver les flics qui ont embarqué mon père. Au début, je ne voulais rien leur dire. Puis, j’ai tout raconté. Je ne pouvais pas rentrer chez moi, parce que ma mère savait et avait laissé faire. Elle m’en veut, parce que depuis que papa est en prison, il n’y a plus beaucoup de sous à la maison. C’est lui qui les apportait. Depuis, je ne vois plus ma fratrie. Mais, si j’ai parlé, c’est parce que je voulais pas qu’il fasse la même chose avec ma petite sœur. J’ai été placé en foyer. C’est pas facile de vivre en collectivité, quand on n'est pas habituée. J’ai dû changer d’école et quitter mes copines. Je m’en suis fait de nouveaux, mais c’est pas pareil. »

 

Julia (16 ans)

« Ce sont mes parents qui ont demandé que j’aille en foyer. On ne s’entendait plus. Ils ne voulaient pas que je sorte avec mes potes. Alors, je fuguais. Je me suis fait souvent ramener par les keufs. Mais, ça ne m’empêchait pas de me barrer à nouveau. Ma mère m’a dit, un jour, que j’allais la rendre folle. Mais moi j’étouffe chez eux. J’ai besoin de voir du monde. Depuis que je suis au foyer, ça n’a pas changé, je fugue toujours. Mais, au moins, quand je rentre, les éduc’ ont arrêté de me faire la morale. Ils me disent qu’ils me prennent comme je suis. Je me suis fait virer de trois collèges. Les profs, ils me gavaient. Ce que je vais faire de ma vie ? J’en sais rien. Pour l’instant, ce qui compte pour moi, c’est de pouvoir m’éclater, faire la fête. Si je me drogue ? Oui, mais, t’inquiète : j’assure !  Mes parents ? Ils viennent me voir ici. Mon daron dit qu’il y aurait trop de risques de me reprendre. Vous trouvez que c’est des parents çà ? »

 

Léo (6 ans)

« Je vis chez tata et tonton, ma famille d’accueil. Ils sont gentils avec moi. Mais, ce qui m’embête le plus, c’est que je ne peux plus regarder la télé le soir, comme à la maison. Ma maman ne peut pas s’occuper de moi, parce qu’elle va souvent à l’hôpital psychiatrique. Elle m’a dit qu’elle n’était pas folle. Mais quand je la vois, elle regarde droit devant elle, des fois elle me répond pas, quand je lui parle. Je l’aime bien ma maman, mais elle me fait un peu peur. Heureusement, Malika, mon éducatrice est là, pendant les visites. Ça me rassure. Elle fait attention, quand maman me serre dans ses bras. J’ai l’impression qu’elle va m’étouffer. Les nouveaux copains que je me suis faits à l’école m’ont posé des tas de question. Je ne savais quoi leur répondre. Je leur ai dit que ma maman était partie en voyage. Je ne sais pas quand je rentrerai à la maison. Je voudrais que ma maman, elle guérisse très vite. »

 

 

Pourquoi place-t-on ?

L’un des rares rapports existant (1) établit que les ¾ des séparations d’un enfant de son milieu familial sont causés par six facteurs principaux, dont par ordre d’importance : 1) Carences éducatives 2) Difficultés psychologiques ou psychiatriques des parents 3) Conflit familial 4) Alcoolisme, toxicomanie 5) Maltraitance : inceste, abus sexuels, sévices corporels 6) Absentéisme scolaire ou difficultés scolaires lourdes.

(1) Rapport Naves Cathala sur les placements (juin 2000)

 

Une Aide Sociale à l’Enfance qui vient de loin

« Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde » (Albert Camus). « Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément » (Nicolas Boileau). Essayons de bien nommer et tentons d’être le plus clair possible.

 

La protection de l’enfance n’est pas une invention récente. Elle plonge ses racines dans des congrégations catholiques recueillant les enfants abandonnés, à l’image de l’Ordre des filles de la charité créé en 1633 par Saint Vincent de Paul qui fonde parallèlement l’hôpital des « enfants trouvés ». Pendant très longtemps, ce seront les membres des différentes communautés religieuses qui interviendront dans le secteur tant de la santé que de l’assistance. Il faudra attendre les années 1970 pour que la crise des vocations opérant, les laïcs viennent se substituer définitivement aux religieux. Mais, c’est bien avant cette date que l’autorité publique a pris le relais, faisant passer l’hôpital des enfants trouvés sous l’autorité du Parlement de Paris en 1670 ; promulguant, le 20 mars 1797, un arrêté permettant de confier les enfants pauvres ou abandonnés à des nourrices ou à des particuliers ; faisant voter en 1805, une loi organisant le secours aux enfants sans soutien et les confiant aux hospices ; puis une autre législation portant création le 10 janvier 1849 de l’« Administration générale de l’Assistance publique » se dotant d’un service des « enfants assistés » qui changea de dénomination en 1953, devenant l’« Aide sociale à l’enfance ». Ce service sera placé sous l’autorité des fameuses « DDASS » (directions départementales de l’action sanitaire et sociale), lors de leur création, en 1964. Les lois de décentralisation votées à partir de 1983 transfèrent aux Conseils généraux (devenus Conseils départementaux, en 2013) l’action sociale en général et la protection de l’enfance en particulier. A compter de cette décentralisation, chaque département nommera et organisera à sa guise les services dont il venait d’hériter. Celles et ceux qu’on a coutume de nommer « les enfants de l’ASE », « … de la DDASS » ou « … de l’assistance » appartiennent donc à un seul et même public.

 

L’ASE, aujourd’hui

Il est fréquent de réduire l’Aide sociale à l’enfance au placement d’enfants. C’est bien là l’une de ses missions. Mais ce n’est pas la seule. Il en est une autre qui cherche à éviter cette séparation. C’est la mesure que l’on désigne traditionnellement par les termes de « milieu ouvert ». Elle met en œuvre un accompagnement au sein du milieu familial, pour soutenir les parents dans l’exercice de leur rôle éducatif et les seconder dans les difficultés qu’ils rencontrent face à leur enfant. Cette aide, qui se donne pour objectif d’écarter tout risque menaçant le mineur, est le plus souvent efficace. Mais, pas toujours.

La seconde intervention relève de ce que l’on nomme le « placement ». Quand un danger est identifié, l’enfant peut être retiré de sa famille et confié à l’ASE qui organisera son accueil en pouponnière (0 à 6 ans), en famille d’accueil, en foyer, en lieu de vie et d’accueil ou en village d’enfants.

Mais, comme rien n’est vraiment simple en protection de l’enfance, « aide à domicile » et « placement » peuvent se réaliser sous deux régimes juridiques distincts.

Le premier régime est administratif, s’appuyant sur l’adhésion explicite des parents. Leur demande peut sembler contre-intuitive. Et pourtant, elle se concrétise par la signature d’un contrat d’engagement réciproque, entre l’autorité parentale et l’ASE, organisant soit un soutien à la famille (aide éducative à domicile - AED), soit une séparation (dénommée accueil provisoire ou recueil temporaire).

Le second, judiciaire, intervient lorsqu’un danger majeur menace l’enfant et que les parents s’opposent à toute intervention tierce. Le juge, après avoir entendu toutes les parties, peut alors décider d’une mesure d’« assistance éducative » qu’il impose sous la forme d’une aide dans la famille (aide éducative en milieu ouvert dite AEMO) ou d’un placement (garde provisoire) confié à l’ASE. 

 

Etat des lieux

L’ASE est le service qui pilote et finance la protection de l’enfance dans notre pays, en conformité avec le Code de l’action sociale et des familles. Sur les 345 000 enfants, adolescents et jeunes adultes bénéficiant de son intervention, 177 000 sont concernés par un placement, 116 000 par une AEMO, 52 000 par une AED. Les 1.963 établissements dédiés à l’accueil, sont à 85 % ont un statut associatif, contre 90 % des services de placement familial et d’AEMO/AED qui sont publics.  



Brancher le décodeur

Quand un enfant bénéficiant de mesure de protection de l’enfance fréquente un ACM, il est des phrases qu’on peut facilement entendre, sans toujours les comprendre. Il peut être utile de les décoder pour bien les interpréter et ne pas faire d’impairs.  

 

« Ma mesure va être révisée »

La loi oblige à réactualiser un contrat administratif tous les ans et une décision judiciaire tous les deux ans. Au cours du rendez-vous de bilan ou de l’audience, il peut y avoir reconduction de la mesure ou fin de prise en charge. Tout dépend de l’évolution de la situation.

 

« Je veux retourner chez moi »

Si elle n’est pas systématique, cette demande est fréquente. Dès lors où le retour est possible, il se concrétise. Si ce n’est pas le cas, c’est que les conditions du milieu d’origine ne s’y prêtent pas. En se précipitant, le risque serait de confronter à nouveau l’enfant à une situation de danger et à lui faire subir un nouveau placement.

« Mon référent va te téléphoner »

Le travailleur social chargé de suivre la mesure est en relation privilégiée tant avec le mineur qu’avec sa famille. Il en référence de la situation. Même si les membres de son équipe en ont connaissance, c’est le « référent » qui connaît bien la problématique et est en mesure de répondre au mieux.

 

« Ce n’est pas ma famille d’accueil qui signe »

Comme dans les situations de divorce, tout placement est confronté à des actes usuels et non usuels. Seules les titulaires de l’autorité parentale sont habilités à s’engager pour ces derniers (autorisation d’opérer, accord pour la pratique d’une activité à risque ou droit à l’image…). Ce qui peut occasionner un délai pour obtenir sa signature.

 

« Mercredi, je suis en visite protégée »

Les décisions judiciaires de placement fixent le plus souvent de modalités de relation avec le milieu familial. Au regard du danger potentiel ou des risques présents, le juge des enfants peut décider de rencontres dans un « cadre protégé », c’est-à-dire en présence d’un tiers protecteur.

 

« C’est Tata qui vient me chercher »

Le placement familial ne se confond pas avec l’adoption. Il n’y a pas substitution de la famille d’origine par la famille d’accueil, mais suppléance : le couple qui prend le relai s’articule avec les parents dans une logique de co-parentalité et de co-éducation C’est pourquoi l’assistante familiale et son mari ne se font pas appeler maman et papa, mais le plus souvent par leurs prénoms ou tatie-tonton

 

« Je ne peux rien vous dire »

Les professionnels de la protection de l’enfance sont tenus au secret professionnel. C’est une obligation que leur fait la loi d’avoir à se taire. Un an de prison et 15 000 € d'amende sanctionnent son non-respect. Les informations portant sur l’histoire de l’enfant et de sa famille ne peuvent être révélées. Quand cela est néanmoins nécessaire, c’est le strict minimum qui est transmis.

 

« C’est moi qui l’accompagne, mais c’est ma collègue qui viendra la chercher »

On peut avoir parfois l’impression d’avoir à faire à une armée mexicaine, quand un éducateur vient chercher au centre un enfant placé en foyer. Les professionnels qui assurent la permanence et la continuité de l’accompagnement travaillent 24 h/24, 7 jours /7. D’où l’impression qu’ils sont nombreux. Et c’est bien le cas !

 

« Comment la maman se débrouille-t-elle ? »

Les mêmes travailleurs sociaux, qui ne veulent rien révéler de l’histoire de l’enfant, sont les mêmes qui se montrent si curieux, posant beaucoup de questions. Chargés d’une enquête sociale ou d’un rapport à écrire, les réponses qu’ils attendent seront précieuses pour la décision à venir concernant l’enfant et sa famille.

 

« Je n’ai rien voulu vous dire, pour qu’il n’ait pas d’étiquette »

On reproche volontiers aux travailleurs sociaux de ne pas tout dire de la problématique d’un enfant inscrit dans un centre. Les enfants bénéficiant d’une mesure de protection de l’enfance sont souvent en souffrance. A la difficulté avec leur milieu familial peut se rajouter la stigmatisation : être perçu comme un « cas soc ». D’où la tentation de rester discret sur leurs problèmes.

 

« Placés »

Nessim Chikhaoui explique l’origine de son film : dix ans comme éducateur dans un foyer, qu’il décrit comme les « plus belles années de ma vie ». S’inspirant de son vécu professionnel, il a écrit un scénario qui, pour être structuré autour de situations de protection de l’enfance souvent extrêmes, plonge le spectateur dans le rire et la révolte, la tendresse et la colère, le bonheur et le désespoir. En miroir de ce qu’un éducateur peut ressentir au contact de ces mômes. Bientôt en DVD

 

 

Ne pas tout mélanger

Rencontre avec Jean-Luc Boero, responsable d’unité de l’Aide sociale à l’enfance

Jean-Luc Boero est cadre dans l’administration de l’un des 101 départements français. Son témoignage est exceptionnel, tant la communication des Conseils départementaux, auxquels les ASE sont rattachés depuis 1984, est étroitement contrôlée. C’est fort de son expérience de près de quarante-deux ans en protection de l’enfance, qu’il nous livre son regard sur l’action de ces services tant décriés.

 

JDA : Que pensez-vous du traitement par les médias de la protection de l'enfance ?

Jean-Luc Boero : Ce sont le plus souvent les dysfonctionnements qui sont mis en avant. Les reportages à charge réduisent le débat à une vision misérabiliste et catastrophiste. S’il est parfaitement légitime de dénoncer les dérives, il ne faut pas généraliser. Il existe beaucoup de petites maisons d’enfants à caractère social qui fonctionnent avec des équipes solides de professionnels formés, stables et expérimentés proposant un accompagnement de qualité, avec le soutien de conseils d’administration vigilants. Il est d’autres établissements qui sont en grande difficulté avec des personnels en souffrance, au nombre sous-dimensionné et dont les postes se renouvellent fréquemment, parce que leurs titulaires s’en vont. Le paysage est donc très diversifié. On ne peut tout amalgamer.

 

JDA : En tant que responsable d'une unité ASE, quel regard portez-vous sur les équipes que vous côtoyez ?

Jean-Luc Boero : les professionnels de terrain sont motivés, mobilisés et déterminés. Leur engagement est particulièrement fort. Ils n’ont choisi cette fonction ni par hasard, ni par défaut. Ils l’ont souvent découverte, lors d’un stage pendant leurs études et ont décidé de l’intégrer. Leur investissement pour l’enfance en danger n’est lié ni aux salaires (faibles), ni à l’attractivité des conditions de travail (médiocres) ni à la notoriété (surmédiatisation plutôt négative). L’absence de reconnaissance, de soutien et de valorisation ne les détournent pas, même si aujourd’hui, comme dans le reste du secteur social et médico-social, nous nous heurtons à une crise du recrutement. Nous payons des décennies de dégradation des politiques publiques. 

 

JDA : Quelles sont donc les difficultés que rencontre l'ASE, aujourd'hui ?

Jean-Luc Boero : Avant d’évoquer les problèmes récurrents, je tiens à souligner les évolutions que nous avons vécues depuis une cinquantaine d’années. Longtemps négligé, le travail avec les familles a beaucoup progressé : elles ne sont plus ni stigmatisées ni ostracisées, comme par le passé. Les assistantes familiales sont devenues des partenaires et ne sont plus ignorées. La parole des enfants est, elle aussi, bien plus prise en compte. Les placements sont plus diversifiés, certains se faisant à domicile (avec un accompagnement sur place intensifié). Les Cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP), présentes dans chaque département, permettent un repérage bien plus précoce des maltraitances. Ces innovations ont renforcé l’expertise et les compétences professionnelles. Mais, parallèlement, les moyens n’ont cessé de se dégrader. Cela se concrétise par l’impossibilité fréquente de trouver un lieu de placement pour les enfants en danger que la justice nous confie. Les places dans le dispositif d’urgence, dans les familles d’accueil, dans les foyers manquent cruellement. Que faire quand nous devons trouver un hébergement, le soir-même, alors que tout est embolisé ? Les seules solutions restantes sont l’hôtel ou le gîte d’enfants (agrée par Jeunesse et sport uniquement pour les vacances) ou pire de laisser l’enfant chez lui, avec le risque de réitération des violences qu’il subit. Cette pénurie ne concerne pas que les placements. Il existe des listes d’attente de plusieurs mois, voire d’années pour obtenir un rendez-vous en pédopsychiatrie, avoir une place en dans le médicosocial ou bénéficier d’un suivi en milieu ouvert !

 

JDA : Quelles en sont les causes ?

Jean-Luc Boero : L’ASE relève de la compétence des Conseils départementaux. Ces collectivités sont placées devant l’injonction de la rigueur financière, l’Etat diminuant les dotations qu’il leur verse. La crise sociale, économique et sanitaire augmente les besoins tant pour le RSA, que pour les personnes avec handicap, les personnes âgées ou la protection de l’enfance. Mais dans le même temps, il n’est question que de diminution des dépenses sociales, de réduction de l’inflation budgétaire et de rationalisation des coûts. L’écart entre les investissements nécessaires et la réalité ne cesse de s’accroître : le choix politique de détricoter l’Etat providence ne fait qu’aggraver la situation des plus vulnérables.

 

 

Faire face à la peur de l’abandon

 

Rencontre avec Christian Haag, éducateur spécialisé et ancien enfant placé

  Abandonné à quelques mois, par des parents qui avaient tenté de le tuer, Christian Haag a passé son enfance et son adolescence en famille d’accueil, puis en foyer. La protection de l’enfance, il l’a vécue, il l’a éprouvée, il l’a mise à l’épreuve. Son savoir expérientiel, il le met aujourd’hui au service des enfants placés. Car, c’est à leur côté qu’il exerce la profession d’éducateur spécialisée.

 

JDA : Faites-vous partie de ces enfants qui ont connu "l'enfer" des placements ?

Christian Haag : ne pas vivre chez moi a toujours été pour moi insupportable. Il faut se représenter ce que cela signifie d’être confronté en permanence à un collectif, à l’agitation et au bruit qu’il génère. Ce n’est pas comme partir trois semaines en colonie de vacances, puis revenir à la maison. La problématique abandonnique qui m’a marqué dès le début de ma vie et qui me poursuit encore aujourd’hui ne pouvait qu’aggraver encore mon angoisse. Quand on est terrorisé à l’idée d’être rejeté, de ne pas être suffisamment aimé, d’être peut-être à nouveau lâché décuple encore le sentiment d’anonymat au sein d’une masse qui menace de dissoudre, de gommer, d’absorber votre individualité.

 

JDA : Avez-vous été victime de cette violence qui est parfois dénoncée ?

Christian Haag : en foyer, je me suis trouvé au cœur de groupes d’enfants qui fonctionnaient sur le registre de la loi du plus fort. Ma frêle constitution et ma fragilité, ma timidité et ma réserve me faisaient paraître comme le petit oiseau tombé du nid. J’aurais pu devenir le souffre-douleur des autres. Etonnamment, et je ne me l’explique toujours pas, j’ai été protégé par tout le monde. Quand une bagarre éclatait, j’en étais écarté. Quand tout le monde se disputait pour monter à l’avant du mini bus, j’étais le seul à qui on ne contestait pas cette place !

 

JDA : Comment peut se concrétiser cette terreur de l'abandon que vous avez vécue ?

Christian Haag : beaucoup d’enfants placés vivent cette émotion. Ils vont tout mettre en œuvre pour attirer l’attention des adultes et capter le maximum de leur présence. Tout est bon pour y parvenir : piquer des crises, se montrer insolent, provocateur ou agressif, désobéir, gesticuler, hurler, créer du conflit etc… Toutes ces stratégies qui les rendent insupportables ont pour objectif de grapiller du temps de son entourage, rien que pour soi. J’ai connu une adolescente qui vomissait régulièrement. Physiologiquement, elle n’avait pas de problème d’alimentation ou de digestion. Elle ne souffrait pas non plus d’anorexie. C’était sa façon à elle d’obtenir la bienveillance des professionnels : éducateurs, psychologue, pédopsychiatre.

 

JDA : Quels sont les tuteurs de résilience qui vous ont permis de vous en sortir ?

Christian Haag : j’ai eu la chance d’être entouré par des adultes qui ont pris grand soin de moi. Des éducateurs merveilleux, une famille d’accueil qui ne m’a jamais lâché. Mais, il y a autre chose à quoi je me suis raccroché : c’est la découverte du théâtre. Être sur scène, sous les projecteurs, applaudi par des spectateurs nourrissait mon ego qui était très dégradé. J’avais la preuve de ma valeur : je pouvais être aimé.

 

JDA : Quelle attitude vous apparait la mieux adaptée pour un animateur qui serait confronté à cette quête affective ?

Christian Haag : il ne m’est pas possible de donner une réponse générale. Chaque enfant étant unique, ce qui conviendra pour l’un ne conviendra pas à l’autre. Il est peut-être plus facile de commencer par ce qu’il ne faut pas faire. Il faut rejeter cet hygiénisme relationnel qui prétend bannir tout affect. Mais, à l’inverse, il faut éviter de se faire aspirer, en se prenant pour le super héros qui va réussir à combler le trou béant, là où tout le monde a échoué. Comment faire alors ? Ne pas rester seul, essayer de décoder en équipe les comportements troublants pour ce qu’ils sont le plus souvent : non la preuve d’une quelconque malfaisance, mais un appel à l’aide. Et déployer toute la bienveillance, tout l’intérêt, toute la compréhension possibles pour y répondre au mieux.

 

Son livre :

Comment tenter de comprendre le vécu d’un enfant placé, sinon en glissant dans la peau de l’un d’entre eux ? C’est ce que nous propose Christian Haag, en nous livrant avec authenticité et talent, mais sans jamais de pathos ni d’impudeur, le récit de son enfance. Ce témoignage naturaliste est toutefois bien loin de se réduire au désespoir. Il démontre, au contraire, que jamais rien n’est perdu et qu’il est possible de s’en sortir.

 « Le murmure des démons » Éditions NomBre7, 2020




Ressources

7 livres

« Histoire des enfants, des familles et des institutions d’assistance. La protection de l’enfance de l’Antiquité à nos jours », Hervé Tigréat, Pascale Planche, Jean-Luc Goascoz, Éd. L’Harmattan, 2019

Voilà une rétrospective ambitieuse, mais réussie qui décrit la préoccupation millénaire de protection de l’enfance. Depuis l’antiquité jusqu’aux institutions contemporaines, en passant par le moyen-âge, les auteurs dressent un tableau historique riche et détaillé. Entre l’abolition par la civilisation chrétienne du droit de vie et de mort que posséda longtemps la puissance paternelle sur sa progéniture, et le droit de correction paternel qui le remplaça avant d’être à son tour supprimé lui-même en 1958, tout un parcours aux étapes parfois étonnantes.

 

« Mes enfants et ceux des autres » Véronique Tivoli, Éd. Baudelaire, 2021

Sept années, cette assistante familiale a tenu sept années, dans un service ASE destiné à accueillir les urgences. Son récit décrit le parcours de vie de plus d’une cinquantaine d’enfants et de jeunes en détresse et sa fonction qui consistait à courir après le temps, le danger, l’incertitude. Autant de moments chaotiques et douloureux, mais aussi remplis de tant de tendresse et d’amour qui font sourire autant qu’ils émeuvent. Une description rythmée et haletante qui atteste de la profonde humanité déployée, même si on ne s’habitue jamais à côtoyer tant de détresse et de souffrance.

 

« Mobylette », Frédéric Ploussard, Éd. Héloïse d’Ormesson, 2021

Alternant le parcours de vie du professionnel mis en scène et son vécu quotidien en foyer de jeunes en grande difficulté, l’auteur nous plonge dans un monde improbable. Si l’imaginaire est au cœur de ce récit, sa crédibilité ne pourra être mise en doute que par un lecteur candide ou profane, son réalisme s’imposant à celle ou celui qui est passé par là. On rit beaucoup, les scènes cocasses succédant aux commentaires tout aussi hilarants. On frémit, en suivant un scénario qui s’abreuve à une veine aussi dramatique que féroce. Et l’on plonge dans les méandres d’un suspense dont on attend avec curiosité le dénouement qui ne sera bien sûr pas révélé ici, mais qui détonne.

 

« Enfant mal placé », Hakan Marty, Éd. Max Milo, 2020

Et si la protection de l’enfance relevait d’une complexité bien plus contrastée que certaines représentations caricaturales médiatiques nous laissent entrevoir ? Le récit de vie d’Hakan Marty en est une illustration édifiante. Quête d’une affection introuvable dans sa famille d’accueil et découverte des petits bonheurs de la vie quotidienne qu’il ne s’était pas imaginé pouvoir connaître dans un foyer d’adolescents. Assistante familiale qui le maltraite et des éducateurs investis et dynamiques qui vont beaucoup l’aider. On ne peut généraliser des vécus qui sont, à chaque fois, uniques et singuliers au sein d’une institution qui peut confronter au pire comme au meilleur.

 

« Le festin de l’ogre », Stéphanie Dautel, Éd. Max Milo, 2021

Quarante ans après avoir été violée par un inconnu, sur le chemin qui la ramenait chez elle Stéphanie Dautel raconte le parcours chaotique qui a l’a menée à devenir éducatrice à l’ASE. Récit cathartique qui fait cheminer le lecteur dans une biographie émouvante expliquant son combat contre ce poison à effet lent de l’ogre qui a englouti sa propre enfance, provoquant d’une manière irréversible des dégâts personnels, collatéraux et transgénérationnels. De son malheur, elle en a fait une force pour apporter cette aide dont elle n’a elle-même pas bénéficiée et accompagner ces enfants qui continuent à subir les violences des adultes.

 

 « Le bal des aimants ou le parcours d’un enfant placé » Pierre Duhamel, Ed. L’Harmattan, 2017

Non, tous n’ont pas vécu dans « l’enfer des foyers ». Il suffit, pour s’en convaincre de lire le récit de Pierre Duhamel qui y a passé douze ans. Aujourd’hui, il vit heureux, intégré et père de deux enfants. S’il a voulu mettre des mots sur son enfance, c’est pour tenter de se libérer du vécu traumatisant qui l’a marqué. Mais, ce n’est pas aux éducateurs qu’il en veut. S’il a souffert, c’est de l’attitude de ses parents. C’est sans doute le besoin de rendre ce qu’il a reçu qui le mena à préparer et obtenir le diplôme d’éducateur spécialisé, travaillant un temps en protection de l’enfance. Beau témoignage et bel hommage à la profession.

 

« Enfants placés. Il était une fois un naufrage » Marie Vaton, Éd. Flammarion, 2021

Marie Vaton a mené son enquête auprès des juges des enfants, des éducateurs, des assistants sociaux et des assistants familiaux travaillant en protection de l’enfance. Elle décrit les professionnels extraordinaires qu’elle a rencontrés, mais dénonce tout autant les dérives, les violences institutionnelles et les abus de pouvoir qui s’y produisent. Mais le pire est ailleurs : ce secteur, qui devrait recevoir toute l’attention de l’Etat, est soumis à l’idéologie de la performance et à l’obsession des chiffres, des normes et des process, la rigueur budgétaires primant sur l’humain. Pressurisé, étouffé et violenté, le dispositif dédié aux mineurs en difficulté prend l’eau de toute part, menaçant de couler avec son public. 

 

7 vidéos

Qu'est-ce que l'Aide Sociale à l'Enfance ? (version courte) Cette animation détaille le rôle du service départemental de l'Aide Sociale à l'Enfance. Elle évoque notamment les différents cas de figures possibles lorsque le Département reçoit une information préoccupante pour un enfant.

https://www.youtube.com/watch?v=l8dWPJeCRI0

 

C'est quoi les missions de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? (version longue) Apporter un soutien, prévenir, protéger en cas de danger … Jean Pierre Thomasset explique avec simplicité et faconde les missions des professionnels de l’ASE.

https://www.youtube.com/watch?v=U--4mhRKmnI

 

Témoignage de Lyes Louffock Placé dès la naissance, maltraité et violenté, Lyes Louffok parle de son parcours en protection de l'enfance en France.

https://www.youtube.com/watch?v=lAm_7IMTbFQ

 

Témoignage de Christian Haag Christian Roundo Haag est un ancien enfant placé. Il est devenu éducateur. Tout en soutenant et appuyant le combat de Lyes Louffok, il en appelle à la nuance. Son propos est poignant et son hommage aux professionnels appuyé. Un complément utile et nécessaire.

https://www.youtube.com/watch?v=crH5fdYygvU

 

Aide sociale à l'enfance : "Placés, déplacés, replacés, re-déplacés..." « Au bout d’un moment, même dans les familles d’accueil, je ne voulais plus nouer d’attaches. Pareil, chaque fois qu’un éducateur s’approchait, je voulais casser le lien. Parce que ça fait trop mal, à chaque fois, de nouer des liens et de les casser après. Alors, je refusais ça. Le plus dur, c’est que le Système me changeait toujours de référent. »

https://www.youtube.com/watch?v=zjja1rtyTc8

 

Témoignage de Tony Quillardet

Agé de 16 ans, le jeune homme placé depuis son enfance a ouvert, en 2020, une page Facebook pour raconter son parcours et pour réunir les enfants qui, comme lui, sont victimes des stéréotypes : « turbulent », « impoli », « pas d’avenir ». Il a créé aujourd’hui un site : https://www.parlons-d-eux.fr/

https://www.youtube.com/watch?v=xGFRVES7oUE&feature=emb_imp_woyt

 

Billet d’humeur Malgré de beaux projets, Nicole Ferroni constate des incohérences entre les grandes proclamations et la réalité de terrain. Elle s’adresse au Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance pour les lui signaler.

https://www.youtube.com/watch?v=EsO4OFjkK2c

 

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation n°228 avril 2022