Dans les sillons du quotidien

HAAG Christian, Nombre7 éditions, 2024, 109 p.

Christian Haag s’était déjà fait connaître pour « le murmure des démons », un premier livre décrivant son itinéraire au cœur de la protection de l’enfance. Comme quelques autres, il a cultivé sa résilience, en devenant à son tour éducateur spécialisé. Son nouveau livre prolonge et enrichit le précédent, en articulant son passé d’enfant placé et son expérience professionnelle en internat éducatif. D’une plume alerte et dans un style toujours aussi ciselé, son récit nous plonge dans un parcours marqué par l’absence d’appartenance, la solitude affective et la terreur de l’abandon. Expulsé du corps de sa mère, avant de l’être de sa vie, il est d’abord pris en charge en foyer d’urgence, avant d’être reçu en famille d’accueil. De 14 à 18 ans, il séjourne dans un foyer pour adolescents. Le souvenir qu’il en garde est d’abord celui d’un bâtiment qui s’effrite : tout y était glaçant et laid, décrit-il. C’est la loi du plus fort qui y règne. Mais son apparente fragilité le protège alors. Adolescent chétif et maigrelet, il reste invisible et silencieux, isolé et seul. Au collège puis au lycée, il se garde bien de préciser où il habite, s’inventant une improbable adresse à la périphérie située à l’autre côté de la ville. La scolarité est devenue un refuge, l’heure où il va de voir rentrer dans son foyer relevant d’un cauchemar. A peine rentré, il s’enferme dans sa chambre. Les nuits sont terrifiantes, marquées par une morbide solitude sentant la mort et la tristesse, l’angoisse et le vide. Christian Haag nous fait entrer avec réalisme dans son vécu d’alors qui aurait pu s’amplifier en une dépression devenue chronique. S’il a surmonté ces épreuves, c’est grâce à des éducateurs se montrant dévoués et empathiques, tendres et sincères à l’endroit de chacun des jeunes du groupe. Jean, son référent, a été pour lui un personnage central dans son évolution. Cet adulte l’a consolé, entouré, rassuré, engueulé, soutenu. Surtout, il a su l’écouter et lui parler. Aujourd’hui, c’est au tour de Christian Haag d’accompagner ces enfants abandonnés, prédélinquants, marginalisés, tous ceux qui sont regroupés sous cette bannière que l’a abrité lui aussi : celle des « cas sociaux » et des inadaptés. Le regard qu’il porte sur l’accompagnement éducatif prend sa source dans son savoir expérientiel. Il incite, insiste et invite les professionnels à décoder ce que ces mômes vivent. Pourquoi ils crèvent de ne pas avoir l’attention et l’amour qui leur a tant marqué. Pourquoi ils disparaissent sous le poids d’une collectivité institutionnelle codée, lourde et tendue qui ronge les individualités. Pourquoi ils se nourrissent parfois des sanctions reçues, comme ultime moyen pour avoir un peu plus d’attention. De l’humilité il en faut pour préférer questionner plutôt que d’affirmer. Du respect, cela est nécessaire pour impliquer les enfants dans leur quotidien plutôt que de le subir. Du soin psychique, il en manque tant. Il serait pourtant indispensable pour amortir les souffrances vécues. Autant de constats, de propositions et de réflexions cernant une profession aux marges de manœuvre toujours à ajuster…