« Ça va ? On ne prend pas trop le melon ? »

Il fallait s’en douter. On ne publie pas impunément un livre, sans faire face à la médiatisation de sa publication. Philippe Gaberan, dont l’accompagnement fut déterminant dans cette production, m’avait prévenu. On ne peut se contenter d’éditer et de retourner ensuite à ses affaires. Il faut en assumer les conséquences.

N’étant sur aucun réseau social, je n’ai jamais pu y prendre la température (pour autant qu’elle ait pu jamais être détectable !). C’est la presse qui me renvoya quelques échos.

Il y eut d’abord, sur six pages, la sélection de ces « bonnes feuilles » du numéro 3299 des ASH (Actualités sociales hebdomadaires) qui me valurent bien des ennuis avec Lien Social où j’écrivais depuis 1994. Aujourd’hui l’incident est clos, puisqu’un plus grand malheur est survenu : la disparition de cette revue.

Puis, vint Didier Jaubert, ce grand patron passé par IBM et Orange qui a décidé de mettre son talent au service, entre autres, d’ATD Quart Monde. Surprise que de lire sous sa plume une recension aussi gratifiante. Je commence alors à me demander s’il ne va pas me falloir renouveler ma panoplie de chaussettes, au cas où mes chevilles se mettraient à enfler !

L’étape suivante fut remportée, haut la main, par François Chobeaux, sociologue et animateur du réseau professionnel national « Jeunes en errance », question dont il maîtrise depuis de nombreuses années l’expertise. Sa présentation ne pouvait que me faire rougir. Diantre, évoquer Fernand Deligny me plongea dans la plus grande confusion. Mais, finalement, il est vrai qu’un petit éduc’ peut aussi exister dans l’ombre d’un tel géant !

Mais ce n’était pas encore suffisant, voilà T(rem)intin au pays de Skool TV ! La première chaîne de télévision française entièrement dédiée à l'éducation et au numérique me proposa une interview. Me voilà, prenant mon bâton de pèlerin et gagnant, depuis ma lointaine province, la capitale. Comme le chante Brassens : « Gens en place, dormez/Sans vous alarmer, rien ne vous menace/ Ce n'est qu'un jeune (vieux) sot/ Qui monte à l'assaut du p'tit Montparnasse » (« Les ricochets, 1976). Quel accueil ! Qu’ai-je donc fait pour recevoir tant de sourires, de bienveillance et de douceur. C’est tout simplement la manière dont l’équipe accueille ses invités. Pas de doute, la lecture de mon livre qu’avait fait Emmanuel Davidenkoff, journaliste pilotant l’émission « La Quotidienne », était précise et détaillée. Ses questions se firent pointues, pertinentes et stimulantes.

Que s’est-il donc passé avec ce projet éditorial que les éditons érès ont porté jusqu’aux fonds baptismaux de la publication ? Au moment où les premiers exemplaires de ce livre sont sortis sur les rayons des librairies, il a cessé de m’appartenir. Il est devenu un objet dont ses lecteurs se sont emparés. Ils se le sont approprié, chacun à sa manière. Les professionnels de terrain n’auront guère été surpris : on y parle de ce qu’ils vivent au quotidien. Peut-être s’y seront-ils juste, tout ou en partie, reconnus … Quant aux candides ayant une vague idée de la protection de l’enfance, la surprise aura été plus grande, tant cette pratique défie parfois l’entendement. Ce sont tous ces lecteurs qui, aujourd’hui, donnent vie à une production qui m’a échappé et qui mène sa propre existence, sans que je n’en maîtrise plus le destin. Curieux cheminement que cette écriture qui a commencé par un sentiment d’imposture (qui suis-je pour écrire ce que des dizaines de milliers d’autres travailleurs sociaux pourraient décrire aussi bien que moi ?) et qui se poursuit dans l’étonnement (quelle est cette énigme qui fait que des lecteurs se retrouvent dans ce récit ?). Au-delà d’une satisfaction personnelle qu’il serait hypocrite de nier, l’important est sans doute à chercher du côté de l’hommage à toute une profession qu’ambitionne de porter cet écrit.

 

La Quotidienne de Sqool TV du 1er février 2024

Emmanuel Davidenkoff

« Il y a plus de 150 "tranches de vie", comme vous les appelez. On est un peu éreinté pour vous d'ailleurs, en tant que lecteur, quand on vous lit parce que les enfants, les ados auxquels vous avez affaire, parfois les parents aussi d'ailleurs, ne sont pas faciles. Mais vous insistez, il faut d'abord les voir comme des enfants qui ont souffert et qui souvent souffrent toujours, sinon on ne comprend rien. »

 La Quotidienne (01/02/2024) - Protection de l'enfance : les "Fragments de vie d'un référent ASE" - SQOOL TV

 

PROTECTION DE L’ENFANCE

« D’abord, ne pas nuire »

ASH n°3299

Dans un livre à paraître le 23 mars aux éditions érès, «Fragments de vie d’un référent ASE», Jacques Trémintin revient sur les vingt-sept ans qu’il a passé à la protection de l’enfance. Il y expose ses échecs, ses réussites, ses questionnements, ses errements… Un hommage, à sa manière, à l’aide sociale à l’enfance qui, malgré ses «défauts » et ses « carences », fait du mieux qu’elle peut, ainsi qu’à tous les enfants et adolescents qu’il a accompagnés et dont la « force » et la « résilience » le surprennent encore. Une ode aussi à la rencontre, au cœur du travail social. Morceaux choisis.

 

Fragments de vie d’un référent ASE

« Un livre remarquable qui rend hommage aux éducateurs de l’Aide Sociale à l’Enfance qui consacrent leur vie à des jeunes en difficulté, malgré les défis quotidiens auxquels ils font face.

Jacques Trémintin, ancien assistant socio-éducatif dans un service départemental d’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) pendant 28 ans, partage son expérience à travers plus de 150 récits, offrant un aperçu authentique de la réalité de l’ASE. Il explore les rencontres avec les jeunes, les parents et les familles d’accueil, évoquant les succès, les impasses et les erreurs avec honnêteté.

Dans ses récits, Trémintin met en lumière la variété des situations juridiques, du milieu ouvert aux placements temporaires ou à long terme. Le rôle essentiel de l’éducateur est souligné, centré sur la création de liens de confiance et d’empathie avec les jeunes, les parents et les familles d’accueil. Sa bienveillance transparaît dans chaque témoignage, avec le message récurrent : « Tu es important à mes yeux ».

Les histoires, souvent émouvantes voire dramatiques, illustrent les dilemmes des travailleurs sociaux lors des décisions de signalement et de placement. Trémintin expose les complexités bureaucratiques et les obstacles juridiques qui entravent parfois le bien-être des enfants et de leurs familles.

Après presque trois décennies sur le terrain, Trémintin demeure humble, soulignant la singularité de chaque cas. Il insiste sur l’importance d’écouter la souffrance des jeunes et de s’adapter à chaque situation, en commençant souvent par les aider à se libérer des environnements toxiques passés. Il souligne également l’importance de l’articulation entre les enfants, les parents, les familles d’accueil, l’école et l’ASE, ainsi que celle de l’accompagnement progressif des jeunes vers l’autonomie malgré les rechutes.

L’auteur met en lumière les relations émouvantes qui se tissent parfois entre les enfants placés, les éducateurs et les familles d’accueil. Sa conviction profonde transparaît à travers des phrases comme celles-ci : « qui sauve une vie sauve l’humanité » et « la vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie ».

Didier Jaubert

Fragments de vie d’un référent ASE - ATD (Agir Tous pour la Dignité) Quart Monde (atd-quartmonde.fr)

 

 

Fragments de vie d’un référent ase

Par François Chobeaux (VST n°60)

Certains se souviennent de la rubrique de Jacques Tremintin dans Lien social, ces petits morceaux de vécu du travail éducatif habités d’humanité. Le voici qui repart dans l’écriture avec ces Fragments de vie en 158 courts récits issus de dix-huit ans d’expérience professionnelle au sein d’un service départemental de protection de l’enfance qu’il ne nomme pas.

L’auteur nous parle, ou plutôt nous raconte les familles d’accueil, les juges, les collègues, les enfants et les ados, les foyers, les parents, les supérieurs hiérarchiques, les élus… tout ce qui construit le quotidien du professionnel. Au passage il fait part de ses moments de doute, d’hésitation, de ses scrupules rétrospectifs. Il évoque également ce qui fait référence théorique pour lui, et la façon qu’il a de s’y accrocher pour comprendre ce qui se passe.

On n’est pas dans une écriture didactique où le savoir serait livré sous la forme agréable du récit, il n’y a jamais de leçon magistrale ou de conclusion tirées qui soient proposées en synthèse des vignettes. On est dans des récits de vie, des fragments, des tranches, éminemment subjectifs, et c’est ce qui fait la richesse de ce livre car ainsi chacun peut

s’en emparer et en faire son miel à sa façon.

C’est un livre à mettre à l’étude dans les centres de formation au travail social en parallèle avec le bon vieux Graine de crapule de Deligny, de façon de marquer que le travail se construit au plus près des usagers dans l’invention et la modestie permanente.

On peut tirer trois conclusions une fois ce livre refermé. La première, c’est que pour faire du bon travail, il faut oser s’affranchir des cadres quand on pense que c’est nécessaire. Sortir

des protocoles, tordre le coup aux pseudo « bonnes pratiques », mettre de soi, prendre des initiatives que l’on fera valider a posteriori si le supérieur hiérarchique est digne de ce nom.

La deuxième, c’est le constat que Tremintin, de formation initiale assistant de service

social, nous présente une pratique de référent ase centrée sur l’accompagnement éducatif. En clair, il nous raconte une pratique d’éduc, sa compétence spécifique d’assistant social n’étant appelée qu’en cas de besoin : mobilisation d’aides et de réseaux, maquis des institutions… Et si on reparlait du diplôme unique ?

La troisième, en filigrane dans le livre,  est la présentation de la lente transformation d’un service départemental de protection de l’enfance en machine à perdre. Des réorganisations territoriales absurdes, la création d’une armée mexicaine de cadres intermédiaires dont certains, de plus en plus, ne connaissent rien à la question, l’absence croissante de possibilités de réponses éducatives rapides en termes de choix raisonné d’un type de suivi ou de placement d’urgence faute d’un financement satisfaisant du système, le faible accompagnement des familles d’accueil, la protocolisation des façons de faire, la place ambiguë tenue par les élus départementaux… Ce que l’auteur évoque à propos du département où il a travaillé est très largement transférable à d’autres et contribue à expliquer, triste ment, pourquoi 30 % des sdf de moins de 25 ans viennent de l’ase.

https://www.editions-eres.com/ouvrage-presse/2023-vst-160-francois-chobeaux