Le viol au-dessus des idées reçues

SUCKER Danièle, Éd.Plon, 2021, 261 p.

Le viol est un sujet que l’on préfère éviter. Cette question traine derrière elle trop d’incompréhensions, de malentendus et de préjugés. L’occasion ici de déconstruire toutes ces représentations.

Selon l’OMS, 20 % des femmes seraient victimes de viol dans le monde et 10 % des hommes. Cette effraction dans le corps de l’autre, ce meurtre pas saccage de ce qu’il y a de plus précieux chez chacun(e) constituent l’une des pires violences que l’on puisse infliger à un être humain. Celle qui s’approprie l’intimité, l’intégrité et l’essence de l’autre.

Et pourtant, un sondage réalisé en 2016 est ahurissant. Il révèle que 15% des français interrogés trouvent le viol acceptable dans certaines circonstances, notamment quand la victime porte des vêtements provocants. Et 31% que celle-ci en est en partie responsable !  On mesure le chemin qui reste à parcourir …

Les racines du viol ne sont pas à chercher du côté d’une soi-disant nature humaine. Non « la femme » n’est pas tentatrice et ensorceleuse. Pas plus que « l’homme » ne se réduit à une bête en rut toujours prêt à sauter sur l’autre.

Certes, notre société est marquée par l’hypersexualisation des mœurs. Le culte de la performance virile en matière de sexualité encombre encore les représentations masculines. Et il est culturellement admis qu’une attitude sexuellement connotée signifie nécessairement une disponibilité à la relation.

Mais, le viol n’est pas la conséquence d’un désir sexuel qui ne peut être réfréné. Il est le produit de la recherche d’une jouissance autre que génitale. Il est avant tout la manifestation du pouvoir exercé sur le corps d’autrui et de la toute-puissance imposée à un autre, choisi pour sa fragilité et sa vulnérabilité.

Se promener seul(e) la nuit, suivre un inconnu, porter des vêtements trop sexy, adopter une sexualité active, déposer plainte tardivement … Autant de comportements trop souvent considérés comme « à risque » ou compromettants. L’auteure démonte, un par un, ces préjugés qui n’ont pour seule fonction que de culpabiliser la victime.

Alors qu’elle doit, au contraire, bénéficier d’une écoute attentive et bienveillante. L’accompagnement doit se déployer avec douceur et empathie. Car son témoignage la fait replonger au cœur du traumatisme vécu, faisant resurgir un cauchemar d’angoisses, de dégout et de terreur.

A l’inverse, bien des réactions sont à proscrire. Cela va des regards dubitatifs aux questions indécentes, des accusations à peine voilées aux plaisanteries grossières. Le ton utilisé, le contenu des propos tenus, le langage non verbal adopté laissent transparaître l’état d’esprit de la personne qui dialogue avec la victime.

Le violeur apparaît, dans la plupart des cas, parfaitement normal, présentant une intégration sociale tout à fait standardisée. Il sait exactement ce qu’il fait. Rien ne permet de relativiser son acte. Ni l’emprise de l’alcool, de la drogue ou la fréquentation de la pornographie, ni la mauvaise interprétation du consentement de la victime ou la déficience mentale.

Seules, peut-être, les violences subies dans l’enfance peuvent expliquer celles que l’adulte va déployer plus tard. Passer de la soumission subie à la toute-puissance, de la passivité vécue à l’action, de l’être détruit à celui qui détruit, du blessé au sentiment d’indestructibilité, du dominé au dominant… Mais ce n’est pas une fatalité de faire vivre à autrui la destruction qu’on a subie soi-même. La plupart des enfants battus ou violés eux-mêmes ne reproduisent pas leurs traumatismes sur les autres.

L’auteur émet bien des doutes quant à la curabilité des pires des agresseurs commettant des crimes sexuels : ceux qui sont atteint de psychopathie. Parce qu’ils consacrent toute leur vie à la satisfaction de leurs seuls désirs. Parce qu’ils n’accordent aucune valeur à leur victime. Parce que leur absence de remords et de culpabilité, leur égocentrisme et leur absence de contrôle du comportement mettent en échec les tentatives de thérapie.

Elle préconise bien plutôt de promouvoir la prévention. Dès le plus jeune âge, il est essentiel développer l’empathie, d’éduquer à identifier le malaise vécu par autrui, d’amplifier la capacité à se mettre en lien. Mais aussi d’identifier le plus tôt possible les jeunes victimes de mauvais traitements afin d’éviter la reproduction de la frustration, de l’humiliation, des atteintes au narcissisme subies.