Les invalidés. Nouvelles réflexions philosophiques sur le handicap

QUENTIN Bernard, Éd. érès, 2019, 203 p.

D’abord nommées invalides, puis handicapées ou personnes en situation de handicap et plus récemment comme handicapables ou autrement capables, se pose la question de l’identité que recouvrent ces désignations.

La dénomination n’est jamais anodine, un adjectif pouvant prendre une place prépondérante jusqu’à désigner une essence. Or, être porteur de handicap, est-ce une spécificité unificatrice ? Ce n’est d’abord pas un fait médical lié à un problème physique ou physiologique, mais un problème social et relationnel lié au regard que l’on porte sur lui. C’est avant tout un phénomène marqué par l’anthropologie sociale. Vivre avec une déficience peut donner lieu à une revendication et même aboutir à une ontologisation communautaire, à l’image du peuple des sourds revendiquant sa particularité au point de refuser les implants cochléaire qui lui permettraient de s’en départir. Pourtant, il n’y a guère de comportements mimétiques dans le milieu du handicap. Personne ne cherche vraiment à se ressembler et chacun trouve plus handicapé que soit. Il y aurait identité handicapée, si la réalité était homogène, invariable, sans tension interne ni composition. Au contraire, toute déficience produit une infinité de variations et une hétérogénéité de comportements, chacun(e) la vivant d’une manière singulière. Partager un attribut ne suffit donc pas à se concevoir comme appartenant à un même groupe. C’est le regard chosificateur de la société qui y parvient le mieux. Le handicap n’existe que parce que la société le stigmatise et les personnes qui le vivent ne se rassemblent que parce qu’elles subissent discrimination et oppression. Il y aurait donc bien une unification artificielle des réalités disparates, en vue de revendications militantes.
Mais quoi revendiquer en priorité : la reconnaissance de certaines spécificités menant à des droits particuliers ou une assimilation citoyenne impliquant un traitement égal pour toutes et tous ? L’idéal d’égalité se réduit trop souvent à se mesurer aux seules capacités. Alors que ce qui compte surtout ce sont les capabilités et les droits y afférant. Pour répondre à ce paradoxe, il faut combattre les trois niveaux de la disqualification que nourrit la société validiste : la déshumanisation, la dépersonnalisation et la dé subjectivation. En commençant par veiller à maintenir l’autre pourtant si étrange dans la même communauté humaine que soi. En continuant par apprendre à le voir non pas à partir de stéréotypes, mais comme un être unique fait d’émotions et de réactions qui lui sont propres. Enfin, en renonçant au paralogisme d’une empathie autocentrée qui plaque sur lui sa grille personnelle de lecture.