La folle histoire du chômage 

ZOBERMAN Yves, Éd. Apogée, 2023, 93 p.

Au premier abord, le chômage semble un fléau très contemporain, inconnu chez nos ancêtres. A y regarder de plus près, il existait déjà … sous d’autres noms.
L’ancienne langue grecque ne connait pas le mot « travail », activité réservée aux esclaves. Le mot chômage vient du latin caumare (se reposer par grande chaleur) issu du grec Kaumare (chaleur brûlante). Cette curiosité sémantique est à relier avec la longue tradition faisant du travail un synonyme de pauvreté, l’oisiveté étant le privilège des plus riches.
Que ce soit les esclaves de l’antiquité ou les serfs du moyen-âge, le travail était donc le lot des basses classes de la société. S’y rajoutaient les « sans travail » poussés par la raréfaction des terres et l’attrait des villes. Ils étaient désignés comme mendiants, « sans feux ni lieux », vagabonds,…

Très tôt, les Etats se préoccupèrent de combattre l’oisiveté. Les options furent diverses. Dans l’antiquité, le grec Périclès choisit d’inciter les populations surnuméraires à créer des colonies extérieures. Les frères Gracchus tentèrent d’initier une redistribution des terres à Rome. Les empereurs romains choisiront d’entretenir la plèbe avec « du pain et des jeux » pour éviter ses révoltes.
Au moyen-âge, c’est la charité chrétienne qui prend le relais, venant en aide aux déshérités. A compter du XVIème siècle lui succède la politique d’enfermement des pauvres, des indigents, des estropiés dans les Workhouse du Royaume-Uni et les Hôpitaux généraux en France.

Premier acteur dans un changement qui affecte les représentations : l’éthique protestante. Elle inverse la valeur attribuée au travail. Luther l’élève au rang de premier devoir de l’homme sur terre. La divinisation de la pauvreté, à laquelle répondaient jusque-là l’assistance et la charité, est remise en cause. Il faut combattre l’oisiveté et encourager la réalisation par sa profession.
Second facteur marquant, la Révolution française. Les corporations, considérées comme des obstacles au marché du travail, sont abolies. Dans le même temps, le droit à l’assistance est sanctifié. Il ne se traduira que bien plus tard dans les faits. C’est étonnamment au Royaume-Uni qu’il se concrétise. Par crainte d’une contagion sociale, un « droit de vivre universel » est créé en 1795. Il est accordé à tout homme valide sans contrepartie, sauf à continuer à résider dans la même commune. Il faudra attendre la loi de 1834 pour que ce droit soit aboli.

Le chômage va s’inviter dans la question sociale, dès lors où il devient un rouage de l’extension capitaliste. La croissance s’alimente à ce que Marx désigne comme l’«  armée de réserve du travail ». La catégorie « chômeur » apparaît pour la première fois dans le recensement de 1896. Il ne cessera plus de hanter la société.

Résorbé à la suite de l’hécatombe de 14-18, resurgissant dans la foulée de la crise de 1929, il est absorbé par le plein emploi des Trente Glorieuses. ll fera les frais du choix politique des années 70 de privilégier la baisse de l’inflation au détriment du maintien de l’emploi. De conjoncturel, le chômage est devenu structure, ouvrant la perspective à une nouvelle allocation universelle, déjà expérimentée des Etats-Unis aux Pays-Bas, en passant par la Finlande ou la Suisse.