Libres d’obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui

CHAPOUTOT Joham, Éd. Gallimard, 2021, 171 p.

Les fonctions et les techniques, la portée et les limites du management moderne ont fait l’objet d’une ample littérature. La recherche de sa paternité un peu moins. Celle identifiée par l’auteur est quand même surprenante.

Herbert Bacque rédige en 1942 un vadémécum sur la meilleure manière de diriger la production. Les tutelles fixent des objectifs y affirme-t-il, que les agents subalternes doivent atteindre dans les temps, sans demander de moyens supplémentaires, sans gémir et sans fléchir face à la difficulté de la tâche. L’important, c’est l’accomplissement de la mission, peu importe les moyens. Ce qui est particulièrement mis en avant, ce sont l’élasticité, la flexibilité et l’agilité. Tout ce qui permet d’être performant doit être privilégié.

Qui est donc ce personnage prémonitoire, préfigurant le management de nos meilleurs capitaines d’industrie ? C’est le ministre de l’agriculture d’Hitler, féroce et impitoyable nazi programmant froidement la famine des populations de l’Europe de l’est, pour permettre l’alimentation des troupes en pleine invasion . Comme il fallait faire plus avec moins d’hommes, il était temps de lever les contrôles, de libérer les énergies et les forces vives, de réduire les normes et les obstacles bureaucratiques, de stimuler les initiatives personnelles et les accords tacites, afin de précipiter les changements et d’accélérer les délais de production.

Le régime nazi a fait exploser un Etat considéré comme contraire à l’ordre naturel, biologico-racial qui conduit les élus dotés de dons et de talents à dominer les plus faibles et les dégénérés. Une kyrielle d’agences supplantent l’administration centrale et locale et se voient dotées d’une mission, d’un projet et d’un budget. Elles deviendront rapidement autant de petites féodalités en compétition les unes à l’égard des autres. Créer de telles agences n’est donc pas une innovation vraiment récente.

Reinhard Höhn, un autre nazi convaincu, va déployer une conception, des plus étonnante dans un pays totalitaire, fondée sur un registre non autoritaire. Tout individu doit se montrer employable, efficace et rentable. Mais pour y parvenir, l’employeur doit déployer avec lui une relation de collaboration pour mieux l’associer et le convaincre. Il faut, pour cela, veiller à son confort en renouvelant la ventilation et la lumière de son travail, améliorer son alimentation en ouvrant des cantines, être attentif à son bien-être, en lui proposant du sport, des bibliothèques d’entreprise. Chaque travailleur allemand se doit d’agir librement pour contribuer à l’œuvre commune de redressement en travaillant, en combattant ou en tuant. Le management est là pour l’encourager, le motiver et le stimuler.

Si Herbert Bacque se suicide en 1947, Reinhard Höhn continuera à former plus de 600 000 cadres dans l’école qu’il dirigera jusqu’à sa mort. C’est que le 31 décembre 1948, 800 000 nazis furent lavés de leur passé. L’occasion de reprendre alors une carrière qui d’universitaire, d’avocat, mais aussi de membre de conseil d’administration, de gestionnaire ou de directeur d’industrie. On leur doit le redressement spectaculaire de l’économie de la République fédérale d’Allemagne. Ils ensemenceront le monde de l’entreprise de leurs idées sur les méthodes de management aux échos contemporains familiers, mais qui furent expérimentées durant la période nazie.