Des martiens au Sahara. Deux siècles de fake news archéologiques

Jean-Loïc Le Quellec, Éd. du Détour, 2023, 436 p.

Fausses nouvelles, mésinformations, infox … les spéculations portant sur le lointain passé de l’espèce humaine ne se limitent pas à de cocasses canulars. Elles peuvent aussi cacher de plus sombres desseins.

Déjà présentes dans la littérature, les théories les plus farfelues ont trouvé dans la toile un formidable incubateur. Tricheries, manipulations, erreurs, spéculations, détournements de textes, interprétations arbitraires… Les illustrations de ces élucubrations sont légion.

Certains ont transformé la curiosité d’amateurs de sensationnel en un filon lucratif. A l’image de ces crânes de cristal mayas, aztèques, olmèques, voire tibétains fabriqués à la chaine par des faussaires et vendus à prix d’or sur le marché. Ou de ces « Pierres d’Ica » produites par milliers pour satisfaire le chaland !

D’autres ont voulu se moquer de la crédulité publique. A l’image du corps de ce géant enterré à Cardiff, dont la découverte en 1865 fit sensation. Jusqu’à ce que Georges Bull, à l’origine de cette farce montée de toute pièce, révèle la supercherie peu de temps après.

Sans compter sur ce savant russe prétendant avoir trouvé la plus ancienne carte géographique du monde. Elle aurait été gravée sur une pierre datant … de plusieurs millions d’années. Pierre qu’il s’empressa de ne jamais faire expertiser !

Accumuler tant d’âneries forcerait l’admiration. Au lecteur de réagir par l’indifférence, la moquerie ou la critique face à des faits utilisés pour illustrer un récit explicite ou suggéré sous forme d’interrogations. Pourtant, l’auteur y voit aussi le prétexte à un argumentaire au service d’objectifs bien moins naïfs.

Des traces de pas humains côtoyant ceux de dinosaures ? La découverte de squelettes des géants décrits par la Bible ? Identification des traces de l’arche de Noë au sommet du mont ? A n’en pas douter, voilà autant de preuves confirmant le calcul de l’archevêque James Usher fixant précisément la création du monde au 23 octobre 4004 avant JC à 18h00. Une aubaine pour les créationnistes faisant de l’ancien testament un livre d’histoire.

Rechercher les sources du mythe de l’Atlantide ? Tentatives pour identifier le contient Mû ? Traces d’anciennes civilisations massacrées par les hordes d’amérindiens ? Une aubaine pour des suprématistes voulant démontrer que la race blanche aryenne est bien fondatrice de la culture humaine.

Bas-relief de Palenque représentant des astronautes ? Tertres américains construits pas des géants ? Traces de Nacza identifiées comme pistes d’atterrissage pour les extra-terrestres ? Occasion rêvée pour les racistes de déposséder les peuples autochtones de leur patrimoine historique, en attribuant leur civilisation à des sources extérieures.

L’incroyant qui argumente ne peut persuader le croyant que sa vérité n’est qu’une illusion. La démarche consistant à isoler des faits pour illustrer une foi intangible ne peut se confondre avec l’élaboration a posteriori d’une théorie destinée à rendre compte d’observations documentées.

Pour autant comment expliquer la facilité avec laquelle nous pouvons identifier des traces supposées d’un passé mystérieux. On peut évoquer le processus par lequel un stimulus vague ou informe finit par être perçu comme organisé, reconnaissable et signifiant : c’est la pareidolie. Ainsi, chacun(e) d’entre nous peut reconnaître dans les nuages, dans les fumées, les écailles de poisson ou les vieux murs des figures familières. Pourquoi pas dans des pierres sculptées par la nature ?

Comme avec le test de la tâche de Rorschach, chacun projette ses propres représentations. Une forme qui prend du sens aujourd’hui en avait-elle chez nos ancêtres ? Ce que nous pensons voir apparaître en dit plus long sur nos propres références culturelles que sur celles de leurs auteurs.

Il est impossible de lire exactement les traces préhistoriques sans l’aide de leurs créateurs. En conséquence de quoi, chaque hypothèse doit être émise avec précaution. Les modèles interprétatifs évoluent en permanence au gré des nouvelles découvertes sur le terrain. Plutôt que d’affirmer et de montrer, il faut s’attacher à démontrer.

Le processus de connaissance traitée ici concerne l’archéologie. Mais elle peut être étendue aux sciences humaines en général et à la quête de la compréhension d’autrui en particulier. Une représentation de ce que pense et vit l’autre qui serait le reflet de ses propres modèles culturels, de ses propres modèles théoriques et de ses propres émotions, cela dira sûrement quelque chose au lecteur travailleur social !