Enseignants, les nouveaux prolétaires. Le taylorisme à l’école

GRIMAUD Frédéric, Éd. ESF, 2024, 156 p.

Depuis une vingtaine d’années, notre pays a connu une succession de réformes assimilant les services publics à des entreprises. Le new public management qui s’est imposé n’a qu’un seul souci : rationaliser leurs coûts, réduire la dette, rentabiliser. L’école a été concernée, au premier rang. 

Injonction a été faite à l’enseignant de modifier ses pratiques non en fonction des besoins qui émergent dans la relation avec ses élèves, mais au regard d’indicateurs consignés sur des tableaux Excel ! Le programme est décidé en haut et doit être exécuté par le bas. Sa pédagogie devrait s’aligner sur des méthodes établies par des personnes qui ne connaissent pas ce qui se passe dans sa classe. Il ne devrait plus façonner ses propres outils au contact de ses élèves mais à partir de logiciels numériques dont il ne maîtrise pas les objectifs. Ce qui relève de sa compétence serait la conformité aux bonnes pratiques, validées par la science et labellisées par le ministère. Or, la compétence ne peut être déconnectée de l’expérience. Mais c’est justement ce savoir expérientiel qui est écarté. Le protocole devient la seule référence admise. La mise en conformité avec les nouvelles normes passera bientôt par une évaluation individuelle appelée à décider de sa rémunération au mérite et à la performance. On le tient responsable de la réussite de ses élèves, réussite corrélée à sa bonne application des prescriptions descendantes.

On retrouve là la méthode préconisée par Taylor qui affirmait en 1912 : « dans le passé, l’homme était tout, ce sera désormais le système » Ce n’est plus l’outil qui se met au service du travailleur, mais le contraire. Et de rajouter la nécessité d’« exiger des ouvriers qu’ils exécutent les ordres exactement comme ils sont indiqués dans les fiches d’instruction ». L’enseignant est libre du moment qu’il suit les méthodes prescrites.

Quand Frédéric Grimaud parle de prolétarisation, il n’évoque pas la rémunération des enseignants, même si en début de carrière, elle est passée de 2,3 SMIC en 1980 à 1,2 SMIC en 2022. Non, il fait référence à cette culture technique et à cette fierté face au résultat obtenu auxquelles se substituent l’éclatement des métiers jusque-là globalisés, l’imposition d’un moule standardisé et le conditionnement à des tâches parcellisées. La hiérarchie cherche à prendre le pouvoir sur le travail de l’enseignant en le dépossédant de ses compétences et en le dépouillant de son savoir- faire.

La résistance s’organise face à la mise en conformité avec de ces nouvelles normes de travail qui sur-prescrivent les objectifs et mais sous-prescrivent de moyens : bricoler à partir des injonctions, ruser face aux consignes, détourner les dispositifs. Mais la perte de sens et de valeurs du métier se concrétise aussi par les démissions et la désertion des candidats aux concours.

Cette analyse que nous propose Frédéric Grimaud n’est pas sans renvoyer à ce qui se passe dans le travail social. L’outil Seraphin-PH imposé au secteur médico-social est une pure imitation de la T2A hospitalière. L’un et l’autre enferment les professionnels dans un protocole réduisant, là aussi, le savoir faire de la relation aux indicateurs à cocher dans des un tableau Excel. Les travailleurs sociaux sont-ils eux aussi en voie de prolétarisation ?