Espace du Possible - Meschers (17)

Et vous, que faites-vous cet été ?

Farniente ou refus de bronzer idiot ? Surtout ne rien faire ou choisir de faire des expériences enrichissantes ? Chacun fait ce qu'il veut de ses vacances ! Parmi les nombreuses options possibles, en voilà une qui mérite qu’on s’y attarde quelque peu.

Quand arrive le temps des vacances, les professionnels se préoccupent de trouver les formules les plus adaptées qui permettront aux enfants, aux jeunes ou aux adultes qu’ils ont en charge toute l’année, de vivre une expérience qui capitalisera tout le travail éducatif réalisé au long de l’année. C’est le temps des transferts. Nous aurions pu, cette année, traiter à nouveau de la menace que fait peser la RTT sur l’organisation même de ces moments si importants ou encore de ces organismes qui accueillent les publics en difficulté dans des conditions douteuses sans oublier les solutions tout à fait originales qui sont parfois trouvées .... toutes choses intéressantes qui ont pris et prendront encore place dans les colonnes du Lien Social. Non, cette fois-ci, nous avons décidé de nous intéresser aux vacances ... des travailleurs sociaux. Chacun d’entre nous a besoin de recharger ses batteries : pour évacuer le stress et la fatigue accumulés et pour se préparer à affronter la charge de travail qui nous attend. Toutes les options sont possibles pour arriver à ce résultat : de l’isolement au milieu de l’océan ou en pleine campagne à 50 Kms du premier bourg un peu important jusqu’aux campings surchargés et plages bondées, en passant par le retour aux sources dans la maison de famille, le village vacances ou, ce qui constitue aussi un programme tout à fait pertinent : rester chez soi à ne rien faire.
On peut concevoir ce moment de récupération comme un moment propice à ne rien faire ou au contraire un investissement intensif et culturel. Chacun(e) a sa propre recette pour remplir ses vacances.
Le coup de projecteur que nous avons eu envie de donner ne manque ni de sel, ni d’originalité.
 

L’espace du Possible

Dans l’estuaire de la Gironde, à quelques kilomètres au sud de Royan, il existe un camping peu ordinaire. Pour y accéder, il faut montrer patte blanche : une barrière à carte magnétique barre l’entrée du parking principal. Jusque là, rien que de très courant. Quand on s’avance plus avant pour pénétrer au coeur de ces 13 hectares vallonnés et boisés, c’est d’abord l’oreille qui est sollicitée. Le rythme cadencé des djembés raisonne sourdement, se rapprochant au fur et à mesure que l’on chemine. Puis, perce le coeur d’un groupe d’adultes qui s’essaye à de multiples vocalises. On croise ensuite une file de personnes au visage magnifiquement peint qui vous salue chaleureusement. C’est alors que la clairière principale du lieu s’ouvre à vous, vous livrant l’écho entraînant d’un tango qui vous incite à chercher du regard : une dizaine de couples enlacés s’essaient aux accents saccadés de la danse argentine. Un peu plus loin, à l’abri du soleil dardant, des sculpteurs en herbe s’adonnent aux techniques du moulage en terre. Et puis, ça et là, de petits chapiteaux où des groupes d’adultes semblent plongés dans des activités qui leur demandent concentration et écoute. Les enfants ne sont pas absents, qui se consacrent eux aussi à des occupations qui les absorbent. Ici, le mode de vie est plutôt spartiate. On peut apporter sa tente ou sa caravane. Elles peuvent aussi vous être fournies ... mais elles ne sont pas toujours de la première fraîcheur. Les sanitaires sont restreints et sommaires : on est loin d’un classement trois étoiles. Mais, on l’aura compris, on ne vient pas ici pour le confort de la villégiature. Le personnel est d’ailleurs réduit : chaque campeur s’engage à fournir 4 heures de son temps, par semaine, à la collectivité (nettoyage, entretien de la forêt,  bricolage, sécurité à l’entrée, aide à la cuisine ou à la plonge, ...). Au centre de l’espace à flanc de coteau, un endroit stratégique : le restaurant. Pour un prix modique, chacun y compose son plateau, à sa convenance, puis s’éparpille sur les différentes terrasses attenantes. C’est le moment privilégié des rencontres, des échanges, des discussions. Ici, règne la convivialité. Le tutoiement est de rigueur : il n’est pas imposé, mais très vite chacun s’y plie de bonne grâce. Que l’on soit PDG, petit fonctionnaire ou psychiatre réputé, enseignant ou travailleur social, profession libérale ou infirmière (catégories qui constituent 80% du public fréquentant ce lieu), on est ici pour partager un moment de vie en commun et laisser libre court à sa curiosité. On vient là pour aller à la rencontre de l’autre, apprendre et donner. En pleine saison, c’est presque 500 personnes qui se côtoient ainsi, se croisant lors des repas, ou dans les dizaines d’ateliers qui sont proposés du dimanche au vendredi, de 9h00 à 19h00. Et, il y en a pour tous les goûts : apprendre à fabriquer du papier ou à danser la salsa, à s’initier à la guitare ou à la sophrologie, à méditer par le rire ou par la technique zen, à monter une chorégraphie collective ou à réfléchir sur la place de l’argent dans sa vie, à fréquenter un atelier d’écriture ou celui consacré aux bâtisseurs médiévaux, à intégrer un cercle philosophique ou psychologique, à apprendre le massage californien ou le massage minute (celui qui est pratiqué sur les aires d’autoroute ou dans le métro), etc... Les « proposants » de ces animations ne sont pas rémunérés. Leur séjour est seulement gratuit. Ce sont des professionnels accomplis ou des amateurs qui se lancent. Les participants étant exigeants, leur prestation s’arrêtera très vite, si elle manque de qualité. Quelqu’un peut animer un atelier sur la photo numérique le matin et participer l’après-midi à une activité de danse afro-brésilienne, proposer un groupe de parole sur la parentalité tout en fréquentant un peu plus tard l’animation sur la comédia dell’arte. Celui qui offre à un moment peut être demandeur à un autre ... et inversement.
 

Entre mythe et réalité : construire ses vacances

Ce qui aurait pu être perçu comme un lieu bon enfant et créatif traîne derrière lui une odeur de souffre. Dans Le Monde daté du 20-21 février 2000, une journaliste en parle comme d’un « camp de naturistes post-hippies où les vacanciers passent leur journée à hésiter nonchalamment entre l’atelier philosophique ou le bain collectif, tout nus dans la piscine ». Michel Houellebecq, en fait une description particulièrement grinçante dans son roman « Les particules élémentaires », transformant l’Espace du Possible en un gigantesque lupanar, terrain de prédilection d’adultes en rut. Des soupçons de secte ont même couru (jusqu’à ce que l’Association de Défense des Familles et de l’Individu vienne donner quitus de cette accusation). Ce qui est différent intrigue, ce qui sort de la routine inquiète. Dans un ouvrage d’une grande qualité et d’une grande intelligence (1), Yves Donnars, le Directeur de l’Espace propose une analyse de ce lieu tout à fait intéressante que nous allons largement reprendre. L’aventure a commencé, explique-t-il, dans les années 70 par cette université d’été d’Arundel, située près de Brighton en Grande Bretagne, et qui était consacrée aux différentes techniques de la psychologie humaniste. Originalité de la manifestation : pour y intervenir, il n’était pas nécessaire comme il est de coutume, de fournir toutes les garanties traditionnelles (diplômes, légitimité institutionnelle ...). Il s’agissait bien de s’autoriser et non d’être autorisé de l’extérieur. Il n’en fallut pas plus, pour que naisse l’idée d’un « Arundel » à la française. A Pâques 1977, un groupe de pionniers se retrousse les manches et commence à aménager le terrain de Meschers. L’été qui arrive est l’occasion d’une première rencontre : 200 personnes construisent ensemble le projet de ce qui va devenir l’Espace du Possible. Les premiers participants viennent du gauchisme, de la tradition communautaire ou encore des tenants des psychologies humanistes. Ce qu’ils veulent créer s’éclaircit petit à petit. Il n’est pas question de prendre en charge les participants, ni de construire un programme d’activité ficelé d’avance. Il s’agit bien plutôt d’accueillir des personnes qui entendent participer à leurs vacances, inventer leurs journées, développer leurs aptitudes à la communication. On vient ici pour partager ses passions, pour croiser ses convictions, pour rencontrer l’autre : la pièce est à écrire, les rôles sont à distribuer, qui propose quoi ? C’est en cela que l’Espace n’est pas un site de loisirs ordinaire, ni un village vacances traditionnel comme on en connaît par ailleurs : ce qui est central, c’est bien l’idée d’expérimentation. Le mode de fonctionnement s’inspire de Karl Rogers, pour qui le groupe le plus efficace est celui qui dispose de la plus large marge de manœuvre pour choisir ses finalités. Les activités proposées ne passent pas par une centralisation hiérarchisée, mais par l’auto-organisation : il suffit qu’un nombre minimal de personnes se retrouvent ensemble autour d’un même projet ou autour d’un même désir et organise ainsi une animation.
 

Entre liberté et cadre

L’Espace ne fonctionne pas sur une logique libertaire. Le cadre existe, garanti par les responsables. Mais, il ne s’impose pas de façon autoritaire : il est pris en charge collectivement. Il est fait appel à la responsabilité de chacun : tout participant est rendu conscient des dangers inhérents à toute activité humaine et incité à se porter garant tant de la sécurité que des limites. Yves Donnars rapporte cette anecdote concernant un atelier de massage au cours duquel un couple va au-delà du simple contact sensitif, en s’adonnant à des caresses érotiques. L’animatrice intervient alors et propose à l’ensemble des participants de faire le point. Certains préconisent le laisser-faire. D’autres trouvent ce passage à l’acte inadmissible. Finalement, les règles sont rappelées. La transgression a été accompagnée et gérée, avant même que la direction n’en soit informée. C’est bien là l’illustration de l’entre deux qui caractérise l’Espace du Possible : dans le dialogue permanent entre permissivité et cadre, il est fait appel à l’intelligence de la liberté de chacun. Et, ce qui est le plus étonnant, c’est l’absence à la fois d’incidents majeurs mais aussi le faible nombre d’adultes expulsés, en 23 ans d’existence ! Entre rigidité menaçante et laxisme, l’Espace propose une forme de rigueur alliant le respect des règles et une base de confiance qui ouvre à la parole à l’élaboration et à la pensée. C’est peut-être là que se situe la principale garantie contre toute dérive sectaire : les participants sont ici curieux et ouverts, mais aussi exigeants. La multiplicité des écoles de pensée qui cohabitent et interagissent rend difficile tout discours dogmatique : chacun vient ici non pour trouver « la » réponse, mais pour forger ses propres outils qui seront différents de ceux de son voisin, cette démarche étant le meilleur moyen de résister au chant des sirènes.
 

Ni thérapie, ni pression du groupe

S’il y a bien une conviction fondatrice de l’Espace c’est celle qu’il faut débloquer les individus et leur potentiel de croissance personnelle. Pour autant, la croyance dans le changement immédiat peut provoquer bien des désillusions : une émotion intense ne suffit pas à modifier les comportements inscrits dans les trajectoires généalogiques, individuelles et sociales, dans l’inconscient. Ce qui est proposé ici, ce ne sont pas des recettes, mais l’interrogation et l’éclairage stimulants de son existence et de son environnement. Pour autant, aller à la rencontre des autres et donc de soi-même ou encore s’impliquer dans la création sont des attitudes qui peuvent mettre en évidence des fragilités : le cadre proposé fonctionne alors comme miroir grossissant de ses difficultés. L’Espace n’est pas un lieu de thérapie. Il se limite à un rôle de confrontation d’émotion et de parole, de discours et d’expérimentation au quotidien. Il s’est néanmoins doté d’une équipe surnommée les « grandes oreilles » qui est constituée par des professionnels de l’écoute et est chargée d’accueillir les plus fragiles qui leur font appel : il s’agit alors d’accompagner leurs moments les plus difficiles, sans chercher à engager la moindre thérapie.
Reste enfin un fantastique lieu de rencontre : à raison de 2.000 personnes par saison, on y croise et fait connaissance en une semaine avec autant de monde qu’en 2 ou 3 années dans la vie ordinaire, affirme un participant. Et c’est vrai que si les distinctions ne disparaissent pas (allure, aptitude à la parole des uns, maladresse des autres ...), les hiérarchies d’argent et de statut social s’estompent devant les responsabilités matérielles ou symboliques d’une tâche ou d’une activité. Pour autant, si la rencontre est à la portée de chacun, facilitée en cela par la convivialité ambiante,  il n’y a pas de pression du groupe à se plier à une obligation de communication : il y a de la place pour parler mais aussi pour se taire. Chacun peut suivre son rythme, son humeur, ne pas respecter un rôle officiel et expérimenter des bouts d’identité provisoire. Il n’est pas toujours facile d’entrer dans la logique du lieu qui peut déclencher des mécanismes de défense et de protection : ne pas être pris en charge oblige à se risquer : tout le monde n’y est pas prêt. Mais jamais personne n’y est contraint. Si chacun a le droit de prendre des initiatives et de proposer, c’est tout aussi vrai pour ce qui est de ne pas participer aux activités proposées.
 
L’Espace du Possible propose à chacun de ses participants un écran pour son histoire, ses désirs, ses débats intimes. Il s’adresse tant à ceux qui sont sûrs d’eux, qu’à ceux qui sont en recherche ou tout simplement en demande de rencontres ou de fêtes. Les militants des premières années ont été remplacés par des participants qui viennent y chercher, la création, l’activité corporelle et le développement personnel: 85% d’entre eux, consultés par un cabinet indépendant, dans le cadre d’une enquête-qualité ont affirmé être totalement ou très satisfaits de leur séjour.

 
(1) « L’espace du possible -Pour des familles polyphoniques » Yves Donnars, La Méridienne/Desclée de Brouwer, 2001, 265 p.
 
 

Charte de L’Espace du Possible (signée par tout proposant et participant)

Article 1 : Chacun est responsable de ses actes et de la sécurité collective. Vigilance extrême à l’égard de la drogue, de la protection de la vie privée et de la protection des mineurs.
Article 2 : Obligations est faite à chaque participant de respecter la charte et de fournir ses 4 heures de service hebdomadaires. Conseil est donné d’éviter de se disperser dans trop d’activités, et d’aider à leur préparation et leur rangement.
Article 3 : Les activités situées dans le champ des loisirs éclairé par les sciences humaines sont librement et gratuitement proposées.
Article 4 : Les activités d’épanouissement visent au mieux-être et non un travail sur les nœuds du passé individuel.
Article 5 : Les techniques corporelles ont lieu dans un climat de confiance, de sécurité et de non sexualité. La nudité est limitée à la piscine et au sauna. Elle est tolérée lors des massages sous réserve d’une attitude correcte.
Article 6 : La discrétion est requise quant à la vie privée des membres.
Article 7 : L’exposé des projets d’activité se fait le samedi. La direction peut refuser celles qui ne sont pas conformes à la charte.
Article 8 : Chaque participant pratique les exercices des ateliers quand il s’en sent capable et décide de façon autonome que c’est bon pour lui.
Article 9 : Les proposants régulent entre eux méthodes, dynamique et évolutions des groupes dont ils ont la charge.

Contact : Espace du Possible 8 boulevard de Suzac 17132 Meschers sur Gironde
Mail : info@espace-du-possible.com
Site : www.espace-du-possible.com 
 
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°603 ■ 03/01/2002