Travailler en réseau : Le ROC

Travailler en réseau dans l’observation

Une collaboration entre professionnels qui pouvait sembler difficile à concrétiser s’est pourtant réalisée en Loire Atlantique, ouvrant de nouvelles perspectives dans les modalités d’intervention.

Le constat est récurrent : si certains jeunes trouvent une réponse à leurs troubles dans les services de psychiatrie, si d’autres encore bénéficient des services proposés par la protection de l’enfance, si d’autres enfin s’intègrent fort bien aux dispositifs de l’enseignement adapté, aucune institution n’est en capacité de pouvoir répondre au jeune qui manifeste des besoins de prise en charge à la fois socio-éducative, de formation adaptée et de soins psychiques. Il risque alors de devenir un « incasable », ballotté d’un établissement ou d’un service à un autre, véritable « paquet de pointes » que chacun se renvoie, en affirmant que décidément ce jeune « n’est pas de sa compétence ». Autre conséquence, des professionnels réduits à l’urgence ou aux passages à l’acte, sans oublier le temps et d’énergie dépensés pour un résultat le plus souvent désastreux, contre-productif et anti-thérapeutique.
 
 

Réfléchir pour agir

Une première réflexion, engagée à Nantes en 1997, pour tenter d’élaborer une pensée organisatrice et distanciée partagée  n’aboutira pas. Elle est relancée en 2001, à l’initiative de l’Aide sociale à l’enfance et des juges des enfants. Un groupe de travail inter institutionnel reprend l’étude clinique de plusieurs situations passées, avec pour objectifs d’interroger les zones de fragilités dans l’articulation entre les différents secteurs, de dégager les constances, d’identifier les (dys)fonctionnements entre services et enfin de proposer tant des hypothèses d’articulation pertinentes, que des solutions à mettre en œuvre. Les conclusions semblent relever d’un truisme : il est nécessaire que se mette en place un réseau partageant l’observation, l’évaluation et la synthèse d’une situation donnée. Ce qui aurait pu rester au stade du simple vœu pieux va aller bien plus loin, puisqu’est proposée la mise en place d’une instance spécifique, dotée d’un coordinateur dont le poste sera financé par l’ARH. Le 21 février 2003, une convention est signée. Toutes les institutions ayant à faire à des adolescents s’engagent dans ce qui devient le « réseau d’observation croisée : les services de psychiatrie, ceux du ministère de la justice, le Conseil général, les maisons d’enfants à caractère social, le foyer départemental de l’enfance, les lieux de vie, les établissements scolaires d’enseignement spécialisé (IME, ITEP) , l’Education nationale, l’enseignement diocésain, les ateliers PJJ et réseaux de mobilisation professionnelle, les services d’AEMO ou de placement familial …
 
 

Le R.O.C.

Chaque partenaire accepte de réserver une place pour le ROC. Le jeune bénéficiaire se voit proposer une succession de séjours courts dans différents lieux chargés chacun d’effectuer une observation, contribuant ainsi à une évaluation finale clinique, sociale, familiale et scolaire, à la fois partenariale et pluridisciplinaire. Afin d’éviter que l’institution qui reçoit ponctuellement un jeune ne se retrouve piégée, il est retenu comme principe qu’elle ne puisse être contrainte à son accueil ultérieur (même si, dans les faits, beaucoup d’équipes s’engageront, de façon modulable ou séquentielle, en fonction de leurs places disponibles). Trois placements dans l’histoire du jeune ou trois intervenants institutionnels dans la situation ? Errance, refus de l’orientation proposée ou impossibilité de trouver un lieu de placement ou de scolarisation. L’un de ces cinq critères suffit pour saisir le ROC. Mais, au final, c’est surtout l’impasse dans laquelle se sent l’équipe  qui compte. Un protocole précis est conçu : une synthèse initiale, une convention d’accueil signée par les parties concernées, un livret d’observation et un livret d’évaluation qui suivent le jeune tout au long de son parcours, enfin une synthèse finale. De 2003 à fin 2006, le dispositif avait été sollicité pour 90 cas de garçons et filles âgés de 14 à 17 ans au profil lourd : situations familiales graves et complexes, déscolarisation, désinsertion, processus d’exclusion itérative, troubles psychiques spectaculaires traités lors d’hospitalisations en urgence…
 
 

Bilan du dispositif

Un tiers des dossiers n’avait pas été étudié, car non conforme aux critères ou résolus avant cette étude. Un autre tiers avait fait l’objet d’une synthèse, sans qu’un parcours ne soit décidé. Quant au dernier tiers, il avait bénéficié de ce parcours avec des résultats plutôt encourageants : forte diminution des passages à l’acte pour 62%, nette amélioration avec l’entourage pour 70%, entrée dans un parcours scolaire ou d’insertion pour 66% et démarche thérapeutique pour 25%. Mais, au-delà du quantitatif, le résultat est aussi qualitatif : une dynamique de synergie s’est enclenchée entre partenaires. Bien sûr, les tensions institutionnelles et interinstitutionnelles n’ont pas totalement disparu, pas plus que la disqualification du travail de l’autre. La culture du partage a néanmoins progressé, grâce à la création de cet espace tiers de médiation extérieure aux professionnels directement engagés et à égale distance des différents champs. Chacun commence à accepter le regard porté sur ses propres pratiques. Face aux dérives du jeune, le questionnement a remplacé l’escalade, permettant la remotivation des équipes. Pour Dominique Guilhaume, sa coordinatrice, tout l’intérêt du ROC, « au delà de la culture du réseau, c’est la place d'acteur de l'observation-évaluation que prend le jeune dans son parcours. On lui donne le temps de faire ses propres expériences. Rien ne se fait sans lui. C'est cela qui enclenche sa mobilisation ». Une expérience qui mérite d’essaimer.
 
Contact : R.O.C. 02 40 48 65 28

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°960 ■ 11/02/2010