Former des animateurs au temps du repas

Préparer des animateurs à l’encadrement d’enfants sur le temps du repas de midi n’est guère courant. Face aux besoins émergents, une initiative a été prise fin 2022 qui devrait se pérenniser et pourrait bien inspirer d’autres associations.

Dédiée d’abord aux colonies de vacances organisées par des municipalités ou comités d’entreprise pendant le mois d’été où les parents travaillaient, puis généralisée à toutes les vacances scolaires et aux mercredis, l’animation s’est ensuite étendue aux accueils périscolaires et à la pause méridienne. Depuis plusieurs décennies, la ville de Nantes fait intervenir des animatrices et animateurs sur le « midi-deux » du temps scolaire. Depuis 2018, le marché public correspondant est confié à l’association Léo Lagrange ouest qui missionne ses professionnels dans les quatre-vingt-neuf cantines de la ville (travaillant aussi dans les accueils du matin et du soir). Le lecteur néophyte pourrait bien s’interroger sur la nature du travail ainsi réalisé. Posons d’emblée le cadre.

 

Animateur de restauration scolaire

Les animateurs fonctionnent selon le principe du « travail en zone » : chacun d’entre eux est en charge de quatre tables (trois en maternelle) de six enfants chacune. Ils veillent au partage de la nourriture que chaque convive prélève dans une proportion équitable. Ils aident à couper la viande ou à éplucher les fruits pour les plus jeunes qu’ils encouragent à acquérir l’autonomie nécessaire dans la manipulation des couverts. Ils sont vigilants aux manifestations de cette néophobie si fréquente chez des enfants se méfiant de toute nouvelle saveur. Ils incitent au moins à goûter et encouragent à expérimenter pour dépasser l’appréhension initiale, en expliquant la nature des mets servis et la recette utilisée pour les cuisiner, plutôt que de contraindre à leur consommation. Ils compensent un éventuel blocage par une complémentation en pain, pour éviter que l’enfant ne ressorte avec le ventre vide. Ils évitent de se focaliser sur les seuls enfants qui ne mangent pas, pour se montrer aussi disponibles aux autres. La posture adoptée répond aux ambitions éducatives de valorisation de la convivialité, de la culture alimentaire et de la découverte des différentes saveurs. Convenons-en : la cantine de papa a vécu. Le temps des steaks hachés et du poisson pané fournis par une industrie agro-alimentaire toute-puissante est révolu.

 

La cantine du XXIème siècle

Mais la mutation en cours ne remonte pas à cette année 1957, date à laquelle la décision fut pourtant prise de ne plus servir de vin aux enfants de moins de 14 ans (il faudra attendre 1981 pour que cette interdiction s’élargisse aux lycées) ! C’est dans les années 1990 que l’impératif financier incitant à privilégier le moins cher laisse progressivement la place à d’autres critères comme une nourriture saine, l’équilibre nutritionnel et bien plus récemment le respect environnemental. Couronnement de cette longue évolution, la loi EGalim, votée en 2018, impulsa une véritable révolution. Là où bien des initiatives locales avaient déjà bousculé les habitudes, le législateur décida alors de généraliser toute une série de nouvelles mesures. La première d’entre elles concerne l’approvisionnement en produits alimentaires. Dorénavant 50 % d’entre eux doivent respecter un label de qualité (lui-même défini par la loi), dont 20 % de bio, avec obligation d’en informer le consommateur. Mais, ce n’est pas seulement la nature des produits entrant dans la composition des repas qui doit être précisée, mais aussi les efforts pour développer l’utilisation de sources d’approvisionnement durable et du commerce équitable. Soucieuses de l’amont, ces nouvelles orientations le sont tout autant de l’aval : un diagnostic antigaspi doit être mis en place afin de réduire le gaspillage de nourriture. Quant à l’utilisation des contenants alimentaires en matière plastique de cuisson, réchauffe et service, elle sera prohibée à l’orée du 1er janvier 2025. Ultime préconisation de la loi EGalim, l’obligation de servir au moins un menu végétarien par semaine.

 

Conjonction des attentes

A ces orientations réglementaires nationales, la municipalité de Nantes a décidé, depuis 2021, de rajouter un second repas végétarien par semaine ainsi qu’une alternative systématique aux plats carnés. De leurs côtés, les familles consultées par questionnaires sur leur conception de ces temps de cantine, placèrent parmi leurs préoccupations principales l’apprentissage du goût ainsi que l’éducation nutritionnelle. Un tel alignement des planètes justifiait pleinement de proposer une formation aux animatrices et animateurs intervenant au cœur de cette pause méridienne. Quand la règlementation se modifie, que les attentes tant des autorités que des familles changent, les pratiques professionnelles se doivent de s’adapter. D’autant que l’épisode du covid ayant fait passer l’éducation nutritionnelle derrière les exigences de distanciation, il apparaissait nécessaire de recentrer les professionnels sur leur cœur de métier. L’initiative vint de deux professionnelles : Christelle Pluquet, chargée de mission pédagogie à l’association Léo Lagrange, en gestion de l’animation des cantines et Béatrice Buteau-Sauger diététicienne en restauration collective à la ville de Nantes. Se côtoyant sur le terrain depuis vingt ans, elles connaissent bien les besoins d’adaptation des professionnels de l’animation qu’elles accompagnent au quotidien. A Léo Lagrange, les formations font partie de l’ADN de l’association : BAFA, BPJEPS, CQP, initiation au développent durable, apprentissage d’outils pédagogiques etc … Mais jusque-là rien n’était prévu pour former à l’intervention spécifique sur les temps de repas. Les animateurs n’étaient pas vraiment à même de répondre aux questions que leur posaient les jeunes convives sur la logique des enchaînements vécus chaque midi : « Si l’on veut convaincre les enfants, il faut faire en sorte que les adultes qui les entourent soient eux aussi convaincus » commente Béatrice Buteau-Sauger. C’est au cours de l’été 2022 que la finalisation du projet se concrétisa.

Une formation compacte

Une fois la rentrée scolaire passée, les directeurs qu’elles contactèrent firent remonter les inscriptions. Ils furent nombreux parmi les huit cents salariés à se porter candidats.

Aux quatre séances de deux heures programmées fin 2022 deux autres furent rajoutées début 2023. La disponibilité étant réduite pour certains de ces salariés qui répartissent leur journée de travail entre un accueil périscolaire et le temps du midi, la formation fut programmée de 9h00 à 11h00 sur un lieu le plus proche possible du site d’activité pour éviter des déplacements trop chronophages. Le temps étant compté, c’est la description du nouveau cadre règlementaire qui fut d’abord privilégié. L’occasion d’évoquer la loi Egalim mais aussi l’arrêté de septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis en restauration scolaire et le guide réalisé par Groupe d’études des marchés de restauration collective et nutrition (GEMRCN), véritable bible permettant de mettre toute élaboration de repas en cohérence avec les prescriptions de santé publique. Elaboré en 2011, actualisé en 2015, il est en cours d’adaptation afin de l’ajuster aux préoccupations environnementales. Vinrent ensuite les explications sur la composition des menus et la chaine qui s’étend de la production jusqu’au service en salle, en passant par le convoyage en liaison froide. Juste avant de se conclure par un échange de débat ouvert aux questions/réponses. Ambroisine Le Brun, directrice d’un accueil périscolaire, qui participa à l’une de ces sessions, explique y avoir beaucoup appris : « c’est important de connaître les contraintes de nos collègues agent technique de restauration en termes de normes d’hygiène ou de règles de température des plats pour mieux comprendre leur travail, mais aussi de profiter de nos échanges pour convenir des mêmes discours face aux comportements alimentaires des enfants ». Quant à Yann, animateur cumulant les temps du midi et du périscolaire, la connaissance des difficultés à gérer les produits de saison, les temps d’acheminement et le calibrage des quantités lui a mieux fait comprendre le travail en amont de l’arrivée des plats : « mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est la visite de la cuisine centrale qui m’a permis de découvrir comment fonctionnait la fabrication des plats ».

 

Du pain sur la planche

A Nantes, le montant des budgets n’est pas négligé : tout compris le prix d’un repas se monte à 17 euros, mais est facturé en fonction du quotient familial, d’un montant ne dépassant pas les 7 euros. Mais, ce n’est pas là le critère principalement retenu. Ce qui compote désormais, c’est l’équilibre à trouver entre le respect des contraintes légales imposées par la Loi EGalim et le souci permanent de l’équipe de la cuisine centrale d’une amélioration continue de la qualité gustative des plats proposés. Les retours tant des 15 000 jeunes convives que de leurs 6 000 familles confirment un niveau élevé de satisfaction, au point d’élever le poisson au beurre blanc servi avec des épinards au rang de menu préféré ! La dynamique enclenchée par les équipes d’animation pour accompagner cette évolution n’est pas prête de s’épuiser. Certes, la formation initiée par Béatrice Buteau-Sauger et Christelle Pluquet continuera à être proposée aux professionnels inscrits sur les listes d’attente et à ceux nouvellement recrutés. Mais d’autres défis restent à relever. A l’image de la collecte et du traitement recyclage des biodéchets devant être finalisé avant la fin de 2023 et l’enjeu du gaspillage alimentaire qui doit faire l’objet d’un diagnostic permettant leur réduction à échéance de 2050. « L’innovation des self-services venant remplacer le service à table, expérimentés dans vingt cantines est destinée à se généraliser » rapporte Christelle Pluquet. De quoi concevoir encore bien des thématiques de formation à venir.

 

Jacques Trémintin - Journal de L’Animation n°239 mai 2023