Avec ou sans les parents ?

Une rencontre récente avec Rudy, un ancien enfant placé durant toute son enfance et son adolescence, m’a confronté à une question qui le taraudait et qui appelait une réponse : « vous m’avez aidé moi. Mais pourquoi n’avez-vous pas aidé ma mère qui avait et a toujours des gros problèmes avec l’alcool ? Si vous l’aviez fait correctement, je n’aurais pas été placé. » Si le souci principal de l’ASE consiste bien à mettre les enfants à l’abri des dysfonctionnements familiaux et à pourvoir à leur éducation, elle ne semble pas vraiment se préoccuper ensuite de soutenir les parents dans leurs difficultés.

Reprenons.

Près de la moitié des interventions en protection de l’enfance se font au sein de la famille sous forme d’aide éducative qu’elle soit dans le registre judiciaire (Aide éducative en milieu ouvert = AEMO) ou administratif (Aide éducative à domicile = AED). Ce soutien peut aussi être renforcé, permettant ainsi au travailleur social d’accompagner une dizaine de familles (au lieu de 35), ce qui lui permet d’intensifier sa présence. Il y a donc un vrai travail de prévention réalisé, pour soutenir la parentalité en amont du placement, justement pour l’éviter. Et cela fonctionne bien. Sauf que cela n’est parfois pas suffisant, nécessitant malgré tout une séparation.

L’effort de soutien aux parents est-il aussi intense quand l’enfant est placé ? Le professionnel peut être présent lorsque les visites de l’enfant sont organisées au domicile parental, des Travailleuses en intervention sociale et familiale (TISF) prenant le plus souvent le relais sur la durée. Il peut aussi échanger avec la famille, avant ou après chaque rencontre. Des groupes de paroles de parents peuvent aussi être proposés, parfois. Mais, il s’agit là encore et toujours d’accompagner les relations au sein de la famille. Pour ce qui relève des problématiques propres aux parents, l’ASE n'intervient pas directement. Elle va faire appel à des partenaires spécialisés dans les difficultés rencontrées. Ce sont des intervenants en alcoologie, en toxicomanie, en psychiatrie, en gestion du budget, en recherche d’emploi, en (re)logement … qui sont alors sollicités. La file active des situations prises en charge pouvant aller pour chaque référent ASE d’une trentaine à plus de cinquante parfois permet difficilement cet accompagnement des parents dans leurs propres difficultés personnelles en tant qu’adultes. D’autant que si certains d’entre eux peuvent être demandeurs, tous ne le sont pas, pouvant très bien refuser l’offre d’aide qui leur est proposée, comme ils l’ont fait parfois pour les propositions précédentes. Il peut arriver qu’ils soient prêts à changer, le placement jouant le rôle d’un électrochoc. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et si la séparation peut être imposée à leur enfant mineur, ils sont en tant que majeurs tout à fait libres d’emprunter ou non la voie d’un changement, même si celle-ci conditionnera ou non une éventuelle fin de placement.

Et ce n’est pas seulement une question de bonne ou de mauvaise volonté. Les problèmes qu’ils rencontrent peuvent être anciens et très enkystés. Il arrive que si la situation stagne et n’avance pas, ce ne soit pas parce qu’ils ne veulent pas progresser, mais tout simplement parce qu’ils ne le peuvent pas. Le constat sera fait de cette impossibilité dont l’enfant ne saurait devenir l’otage.

Telle est l’explication donnée à Rudy qui sembla le satisfaire … jusqu’à ce qu’une nouvelle question surgisse : « mais si la vie avec ma mère n’était pas possible, pourquoi je n’ai pas été adopté ? » Les actes que nous posons, quels qu’il soient, peuvent nous éclater à la figure vingt ans après. Faut-il sacrifier un enfant à l’hypothèse d’un hypothétique rétablissement son parent ou exercer d’emblée une parentectomie au risque de se voir questionné longtemps après par le reproche « pourquoi vous m’avez arraché à ma mère sans prendre le temps de vérifier que rien n’était possible avec elle ? » Voilà une quadrature du cercle dont on ne sortira jamais !