À propos de l’évaluation

Carte blanche au billet de Ludwig

Depuis la disparition de Lien Social, nous sommes nombreuses et nombreux à nous sentir orphelins. Les belles plumes qui alimentaient les billets tant de sa version papier que de son site ne devaient pas disparaître. Si rien ne remplacera jamais ce journal écrit par des travailleurs sociaux, retrouvez quelques un(e)s de ses chroniqueurs et chroniqueuses, chaque jeudi, dans la rubrique « carte blanche à …» ».

 

À propos de l’évaluation

Je vais peut-être en surprendre quelques-uns. Certains diront, il a retourné sa veste ! Que nenni !

Actuellement en formation d’évaluateur externe des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), j'avoue trouver la démarche intéressante et jamais je n’aurais pensé un jour ajouter cette fonction d’évaluateur à mes compétences. Surtout que j'en avais, comme beaucoup, des aprioris et des préjugés. Parce que nous, travailleurs sociaux, n'aimons pas trop ça que l’on regarde ce que l'on fait. Pourtant, nous écrivons, publions et produisons de la pensée. Nous parlons de la clinique du quotidien. Mais, nous nous opposons parfois farouchement, et à juste titre, à nous laisser enfermer dans des cases ou à répondre à quelconque protocole, tableur et autres outils statistiques. Ces dernières formatant nos pratiques pour parler de l’être humain comme on évalue une production. Et heureusement que nous avons cette vigilance à ne pas nous laisser contraindre dans une bureaucratisation qui nous fait tant de mal, provoquant la perte de sens et de valeurs que nous connaissons actuellement. Mais ici n'est pas le sujet. Quoique.

Je suis donc en formation d'évaluateur externe des ESSMS. Parce qu'on me l'a proposé. Connaissant mon formateur, j'ai tout de suite dit oui, flairant qu’il y aurait quelque chose de différent, d’inattendu. L'autre questionnement qui se posait à moi était la suivante : pourquoi subir ces évaluations plutôt que de s’en saisir, nous, travailleurs sociaux. Au regard de notre expérience et du point de vue que nous avons sur le travail social ? Au lieu de laisser la main à des cabinets de conseil gestionnaire qui n'ont parfois que peu de connaissances du secteur social et qui feront du chiffre, sans autre recul que d'appliquer les protocoles à la lettre. L'intérêt serait alors que les travailleurs sociaux s'en saisissent pour y amener du sens, des valeurs, de la réflexion éthique.

Et c'est exactement ce que j'ai vécu.

De nombreux articles, livres ont déjà été faits sur le sujet de la démarche qualité. Évolution ou piège ? Progrès ou asphyxie ? Finalement, il faut aller voir. C'est ce qui m'intéresse aussi. De me rendre compte qu’avec l'évaluation externe, il est possible d’avoir une image du secteur. Des enjeux facilitants et des enjeux bloquants. Et ainsi élargir son point de vue sur la question sociale. Alors, vous me direz, que tout cela est très bien, mais du coup, l'évaluation, qu’est-ce que c’est ?

Issue de la loi 2002-2 et prévue par l'article L 312-8 du CASF, j'ai surtout envie de vous dire ce que n'est pas l'évaluation. L'évaluation n'est pas un contrôle. Ni un audit ou une sanction. C'est un outil, une démarche d'amélioration de la qualité de l'accompagnement des publics. Une appréciation des prestations des ESSMS qui doit permettre de relever les points d'améliorations, de souligner les moyens nécessaires. C'est une image à l’instant T, une « photo instantanée » qui doit permettre aux établissements de s'améliorer et à la Haute autorité de santé d'orienter sa politique.

Pour moi, c’est une autre façon de promouvoir l'accompagnement des publics comme étant une priorité. C'est un outil. Bien sûr, la finalité est d'apporter une réponse pertinente et adaptée aux attentes des personnes accompagnées, des professionnels et des autorités. Dans une démarche continue portée par des valeurs. Celles du pouvoir d'agir de la personne, du respect des droits fondamentaux, de l'approche inclusive des accompagnements et d'une réflexion éthique des professionnels. L'évaluation, si elle vise l’amélioration de la qualité, a aussi pour objet la lutte contre la maltraitance.

Alors, bien sûr, il y a un référentiel construit autour de 3 chapitres, 9 thématiques, 42 objectifs, pour 157 critères. Des grilles, oui. Mais permettez-moi d'insister sur la manière de conduire et d'utiliser cet outil de l’évaluation. La question est bien celle de l'utilisation de l'outil, du sens que l'on y met, en co-construction avec l’établissement évalué.

Je ne vais pas ici vous fournir une analyse critique et approfondie du système d'évaluation, étant actuellement en formation. Mais j'ai la chance, je crois, que ma formation d’évaluateur soit pensée, réfléchie, et non une application bête et méchante d’un mode d’emploi.

J'y ai rencontré des professionnels impliqués, chargés de valeurs et au grand sens éthique. Au regard expérimenté, gardant le public comme intérêt premier.

Je pense que tout l'intérêt est là. Soit, on coche des cases de manière mathématique et gestionnaire. Soit, on s'empare de l'outil, en se servant de notre expérience et de nos compétences de travailleurs sociaux.

J'ai beaucoup « bougé » pendant cette formation. J'ai levé des aprioris. Et je me suis laissé aller à la rencontre.

Je reviendrai vers vous très certainement lorsque j'aurai plus de recul.

En attendant ? Gardons le public au centre des préoccupations. Espérons que l'évaluation externe pourra être un levier, au-delà d’une obligation, pour mettre en lumière les enjeux, les besoins, les moyens pour l'amélioration du secteur sanitaire et social.

Ah, aux dernières nouvelles, c’est un milliard de moins pour l’action sociale et médico-sociale dans le plan d’économie du gouvernement…