Qu’est-ce que je fais là ?

… Carte blanche à la Plume noire... 

Depuis la disparition de Lien Social, nous sommes nombreuses et nombreux à nous sentir orphelins. Les belles plumes qui alimentaient les billets tant de sa version papier que de son site ne devaient pas disparaître. Si rien ne remplacera jamais ce journal écrit par des travailleurs sociaux, retrouvez quelques un(e)s de ses chroniqueurs et chroniqueuses, chaque jeudi, dans la rubrique « carte blanche à …».

 

Qu’est-ce que je fais là ?

Joly Laura, étudiante en formation d’éducatrice spécialisée se demande « Qu’est-ce que je fais là ? ». François Durand, formateur en travail social et en charge d’animer le groupe d’analyse de la pratique dans lequel se trouve Laura se dit que, sans le savoir, la jeune étudiante vient d’énoncer peut-être la seule et unique question qu’il convient de se poser lorsque l’on décide d’embrasser cette profession ; une bonne entrée en matière afin d’amorcer l’élaboration de son style professionnel.

Laura est en stage en MECS (Maison d’Enfants à Caractère Social), plus exactement en foyer d’urgence où des enfants ayant maille à partir avec un contexte familial des plus problématique se retrouvent pris en charge afin que leur situation soit évaluée en vue d’une orientation censée convenir à leur profil. « Mais qui on est pour affirmer en à peine six mois que pour untel il est préférable que soit préconisé une famille d’accueil, pour un autre un éloignement géographique ou encore plus grave, car je l’ai entendu, qu’il convient de séparer une fratrie ? »

Laura est un rien dépitée et effectivement François perçoit bien qu’elle en quête de sens, ce qui somme toute le rassure.

Dans son discours, elle continue d’exposer son incompréhension face à des journées qu’elle estime trop rythmées par les gestes du quotidien et les injonctions qui vont avec. « Brosse toi les dents, fais ton cartable, mets tes chaussettes, ne me parle pas sur ce ton, va dans ta chambre…  J’ai l’impression de passer mon temps à dire aux enfants ce qu’ils doivent faire au lieu de l’utiliser à les écouter et les entendre. »

Voyant qu’elle tourne autour du pot, François fini par lui demander « Pourquoi avoir choisi d’entrer en formation d’éducatrice spécialisée ? » Elle ne répond pas vraiment. Il la laisse expliquer qu’elle se sent bien avec les enfants, que l’univers des MECS lui plaît bien, puis il revient à sa question dont il a une idée de réponse dans la mesure où Laura l’a en partie abordée dans l’un de ses écrits. Elle déclare :

-Ben en fait, j’ai un parcours d’enfant placé.
-Merci Laura pour votre sincérité.

De même que certains des professionnels présents sur son lieu de stage quelques étudiants dans le groupe étaient déjà au courant.

-Et quel regard vous portez sur les éducateurs que vous avez croisés ou pour le formuler comme dans votre écrit « auxquels vous avez dû faire face ?
-Assez simple, ils ne m’ont pas aidée.
-Que voulez-vous dire ?
-Ils ne cherchaient pas à me comprendre et comme je faisais pas mal de conneries, ils me sanctionnaient sans cesse.
-Tous ?
-Tous ? Non. Il y en avait un, Olivier il s’appelait. Je ne sais pas pourquoi, mais je passais mon temps à parler avec lui. Il avait une manière d’être qui me donnait l’impression qu’il n’était pas un éducateur.
-C’est certainement pour cette raison qu’il en était un.
-Je ne sais pas.
-Vous êtes restée combien de temps dans cette MECS ?
-Trois ans. Je fuguais régulièrement, j’allais chez ma mère alors que je ne n’en avais pas le droit. Et puis un jour Olivier lui a téléphoné. Il lui a dit qu’ils allaient s’arranger pour mettre fin à la prise en charge mais que tout cela devait rester entre eux.
-Et du coup ?
-Je ne sais pas pourquoi, mais c’est à partir de là que j’ai arrêté de faire mes conneries.