En 1989/1990, on comptait 0,23% d’élèves handicapés, dix ans plus tard,
en 1999/2000, ils n’étaient toujours que de 0,30%. En fait, moins de 10% des
enfants handicapés sont intégrés individuellement dans une classe ordinaire.
Les raisons de ce décalage tiennent au manque de moyens et de personnels ou de
formation. Mais elles ont aussi à voir avec la mission d’excellence fixée à
l’école et la relégation de l’enfant handicapé dans des dispositifs
thérapeutiques spécialisés. L’indigence de l’offre proposée par l’Education
nationale ne laisse guère de choix aux familles. La continuité entre l’IME et
l’IMPRO et entre l’IMPRO et le CAT a toujours été (et reste) infiniment plus
rassurante que celle bien plus aléatoire qui existe entre les CLIS (classes du
primaire accueillant des élèves handicapés) et les UPI (classes équivalentes,
mais au collège). La massification scolaire n’a fait qu’accentuer encore le
phénomène : entre 1963 à 1973, le nombre des classes de perfectionnement
est passé de 4.020 à 16.337. Cette multiplication par 4 s’expliquant soit par
une soudaine et brusque explosion du nombre de crétins, soit à la
rigidification de l’apprentissage sur un modèle plaçant en échec une portion
manifestement très peu compressible de la population scolaire. L’intégration
scolaire, on l’aura compris, ne va donc pas de soi. Il ne suffit pas de faire
sa promotion pour qu’elle se réalise effectivement. Elle ne pourra s’accomplir
qu’avec une restructuration en profondeur tant de l’Education nationale que du
secteur médico-social passant notamment par l’émergence d’une véritable
pédagogie différenciée se fondant sur la supposition non que tous les élèves
doivent apprendre de la même manière et au même rythme, mais qu’ils sont tous
différents en matières de compétences, d’intérêts et de préférences.
(Cahiers de l’Actif n° 320/321/322/323, Janvier/Avril 2003)
La dernière livraison des cahiers de l’actif
consacrent un dossier passionnant aux « Conférences Familiales ».
Cette nouvelle méthodologie n’est pas le produit du cerveau génial d’un
quelconque penseur, mais la reprise par le monde moderne des pratiques
traditionnelles de la société maori. Le souci actuel de renforcer les capacités
parentales s’appuie sur la participativité des familles : l’usager est invité
à prendre une part active à la résolution du problème qui le concerne. Mais
jamais encore, le pas n’a été franchi de lui restituer l’initiative de la
décision. C’est justement là le pari des Conférences familiales. La démarche
consiste à réunir dans un même lieu une famille (pas seulement les parents,
mais aussi la famille élargie maternelle et paternelle) avec des
professionnels, pour discuter des problèmes de santé et d’éducation d’un enfant
qui a été abusé et des solutions à apporter. La première étape est celle du
partage de l’information : identifier la problématique et comprendre les
mécanismes du conflit. Y sont posées les conditions non-négociables inhérentes
à la nécessaire protection de l’enfant (comme par exemple son éloignement du
domicile familial). Le deuxième temps est appelé la délibération privée. La
famille est laissée seule pour élaborer le plan d’action. Les professionnels se
retirent donc et ne rejoignent la conférence familiale que pour ratifier le
plan d’action qui a été mis au point. Le fondement de cette méthodologie
s’appuie sur la conviction que les familles disposent des ressources
nécessaires et peuvent prendre des décisions mieux adaptées à leurs besoins que
les professionnels ! De quoi révolutionner les pratiques. Après avoir
gagné le monde anglo-saxon, cette approche a séduit l’Europe où un réseau est
en train de se constituer. Seule publication existante en français : ce
dossier très complet et très bien présenté.
Toxicomanies : vers de nouveaux modes d’intervention
Lorsque la loi de 1970 est
votée par une assemblée nationale unanime, elle est déjà le produit du
compromis entre un ministère de la justice tourné vers la répression et un
ministère de la santé voulant privilégier le soin. Dès 1973, une circulaire
très libérale recommande : « pas de poursuites pénales pour les
quantités négligeables de stupéfiants et pas de procédure de flagrant délit
contre les simples usagers, contraires à l’esprit de la loi qui est d’assurer
le traitement médical et non de punir ». La politique française en matière
de toxicomanie est longtemps restée hésitante : les changements ont été tardifs
et modestes. Il faut attendre les années 90 pour que la prévention des
risques sanitaires s’impose sous la poussée de l’épidémie de sida. Les
résultats ne se font pas attendre. Ils sont spectaculaires : les overdoses
mortelles baissent de 79% entre 1994 et 1999, les interpellations d’usagers
d’héroïne de 68%. Rien d’étonnant quand on sait que dans le même temps, les
programmes de substitution passent de 30.000 à 72.000 bénéficiaires. Si la
lutte contre la drogue ne s’inscrit plus dans un objectif d’éradication mais
d’accompagnement, c’est sans doute que de nombreux facteurs ont contribué à
amplifier le phénomène : ébranlement des structures et des valeurs,
atomisation des rapports sociaux, présence sur le marché d’un nombre croissant
de produits stupéfiants, banalisation par les média et la publicité du désir
d’évasion, valorisation de la recherche d’émotions fortes, fragilisation
liée au chômage et à l’exclusion etc... Reste qu’il n’est jamais simple de
soigner quelqu’un qui souffre de quelque chose que la drogue apaise. Il n’est
pas simple d’engager quelqu’un à ne plus prendre quelque chose qui le calme,
qui le soigne.
Une nouvelle vision de
l’homme a émergé depuis une trentaine d’années : ce n’est plus seulement
la fraction d’un total mais un complexe d’éléments en interaction avec ses
multiples dimensions en relation avec son environnement psychologique,
affectif, émotionnel, intellectuel et spirituel. La lecture systémique est
différente de la méthode analytique qui cherche à isoler les chaînes causales,
expliquant les faits par leurs causes et le compliqué par l’élémentaire :
elle multiplie les possibles et montre comment il existe plusieurs façons de
réagir adéquates et comment les possibilités d’action se situent au niveau de
tous les acteurs. Il s’agit d’une approche de la complexité qui tente de
prendre de la distance à l’égard de l’évènement symptomatique. Plusieurs
ressorts constituent le fondement de cette approche. C’est d’abord ces doubles
liens paradoxaux qui peuvent rendre fou. C’est ensuite l’homéostasie qui
caractérise la vie de tout système qui est marqué par des périodes de stabilité
et de crise, ces dernières devant être dépassées pour rétablir un nouvel
équilibre. C’est encore la circularité : il n’y a ni causes, ni effets,
mais une interactivité des facteurs qui s’influencent réciproquement. C’est
toujours le mythe familial qui attribue à chacun un rôle spécifique au travers
de croyances organisées et partagées par tous. C’est bien sûr la fonction du
symptôme dont il ne faut pas tant chercher la cause, mais la raison d’être.
Sans oublier la résonance : l’implication de l’observateur et de sa propre
histoire dans ce qu’il observe. Restent les dérives d’une théorie qui peut
s’avérer dramatique : quand la connotation positive qui consiste à ne
vouloir blâmer personne en considérant que tous les comportements ont pour
fonction de maintenir la cohésion du système trouve ses limites face à
l’agression sexuelle d’un enfant par son père.
Le XIXème siècle
imposa aux jeunes fauteurs de troubles et de désordre le régime de l’internat.
Le XXème a remis en cause ce modèle de la contention, de la
ségrégation et de l’isolat social en lui préférant une action sur les rapports
de l’enfant à sa famille, à son milieu social et à son réseau d’appartenance.
Cette évolution a largement bousculé les pratiques professionnelles : les
grandes structures ont été remplacées par de petites unités de 12-15 enfants, des
lieux de vie proposant des prises en charge éducatives se sont développées, les
durées d’accueil se sont grandement raccourcies et surtout l’articulation s’est
faite de plus en plus étroite avec les parents dans une logique de suppléance
(et non plus de substitution systématique). Pour autant, l’internat reste
l’outil privilégié quand il y a indication de séparation et de mise à distance
d’avec le milieu familial. Il se place entre la totale fusion et la rupture
chaos, l’une et l’autre pathologiques. Il organise et oblige à la distinction
et au maintien des liens jouant un rôle régulateur dans la structuration du
sujet. Mais cela peut se passer d’une manière complémentaire, comme le montre
l’expérience du GAAM de Biarritz qui propose que l’enfant hébergé dans sa
famille puisse séjourner ponctuellement en maison d’enfants. Autre évolution
majeure, ce rôle éducatif que les CHRS ont investi, en accueillant des parents
avec leurs e enfants ou en essayant de préserver le lien du parent non-gardien
avec son enfant. Creuset du métier d’éducateurs spécialisé depuis l’émergence
de la profession, l’internat est de plus en plus déserté. Attirés par l’acte
éducatif au quotidien qu’ils considèrent à juste raison comme éminemment
formateur, les jeunes diplômés rejettent( une action perçue comme trop
rapidement sclérosante et non-valorisante.
A l’actif de la réforme de la
loi de 1975, toute une série d’avancées entérinant les évolutions culturelles,
structurelles et méthodologiques des vingt dernières années. Les enfants,
adolescents et adultes porteurs de handicap ne sont plus de simples objets de
prise en charge et de réparation, mais des citoyens à part entière, détenteur
de droits : pouvoir se voir communiquer son dossier, pouvoir avoir recours
à un médiateur, être destinataire d’un certain nombre de documents (livret
d’accueil, charte des droits et libertés, projet d’établissement)... Les besoins
et attentes des usagers doivent être la base du projet individualisé à la
conception desquels ils doivent être associés. C’est bien la logique de la
contractualisation qui est ici à l’œuvre : les réponses doivent se
rapprocher des demandes dans une démarche de négociation. L’exigence de qualité
implique en outre une auto-évaluation tous les cinq ans et une évaluation par
un organisme extérieur tous les dix ans. Mais, à peine la réforme a-t-elle été
entérinée début 2002, que déjà pointent les propositions et critiques
susceptibles d’initier une nouvelle refonte-rénovation-toilettage. Comment
parler encore d’ « usager », cet administré qui est certes
bénéficiaire mais pas acteur ni auteur de sa vie ? Comment continuer à
découper la vie de l’individu en tranche en opposant le social au sanitaire, à
l’Education Nationale et au monde du travail qui continuent à coexister de
façon parallèle dans des législations pas toujours très cohérentes ? Quand la
déclamation incantatoire des droits fera-t-elle place à la garantie donnée à
l’accès à ces droits ? La proclamation des droits ne saurait
suppléer la démarche éthique (finalité des pratiques professionnelles,
conditions à mettre en œuvre pour respecter l’intérêt de la personne,
justification des décisions prises) qui doit primer tout juridisme.
Les députés viennent de voter
à l’unanimité une loi créant un nouveau délit : celui de manipulation
mentale. Cette législation vise très directement le phénomène sectaire qui
concernerait en France pas moins de 160.000 personnes. L’occasion peut-être de
s’intéresser plus particulièrement au dossier proposé par les Cahiers de
l’Actif qui fait le point sur la nature, l’action et les dégâts commis par ces
organisations très particulières. Il y est question de la multiplicité
des facteurs et des grilles de lecture possibles qui permettent de comprendre
toute la complexité du phénomène. Et tout d’abord, de ces idées reçues
réductrices et finalement peu aidantes : non, les sectes ne sont pas le
refuge de doux-dingues. On ne peut non plus les réduire à de simples mafias
(même si c’est parfois le cas). On ne peut se contenter non plus d’évoquer des
pratiques irrationnelles (que les sectes partagent avec bien des religions). La
dérive sectaire s’identifie « à une allégeance inconditionnelle au sein
d’un isolat culturel autoréférencé ». Les sectes se répartissent entre
celles qui s’affirment intramondaines (se développant à l’intérieur de la
société) et celles qui s’inscrivent dans une perspective extramondaine (en
refusant plus ou moins, toute intégration sociale). Les traits caractéristiques
des unes et des autres font néanmoins appel à des registres parallèles tels une
alternative radicale proposée à l’existant, une autorité autocratique, une
référence exclusive exigeant la rupture avec la vie passée, un modelage
standardisé, une instrumentalisation qui, en masquant les coûts réels de
l’engagement, exploite les inquiétudes du sujet et lui sert de prothèse
relationnelle. Le dossier revient sur les emprises sectaires lancées en
direction de l’éducation, des entreprises et présentent l’UNAFDI et son action
courageuse.
De 100.000 mineurs délinquants dans la décennie 80, on est passé dix ans
plus tard à 172.000. Mais, cette évolution n’est pas que quantitative. On
constate aussi son rajeunissement (cela commençant par des incivilités), sa
territorialisation et son ethnicisation. Il n’en fallait pas plus pour relancer
le débat engagé depuis des décennies entre les tenants de l’axe éducatif
(partisans de l’ordonnance 1945) et ceux de l’axe répressif (qui revendiquent
la réouverture des maisons de correction). Les Cahiers de l’Actif présentent un
dossier aux contributions inégales, mais dans l’ensemble intéressant. A noter,
le tableau comparatif des politiques menées en Europe pour répondre à cette
délinquance juvénile, la Grande Bretagne se faisant particulièrement remarquer par
ses propositions répressives (couvre-feu, détention possible dès 10 ans,
responsabilisation des parents pouvant être condamnés, …). Jacques Faget
propose une démonstration tout à fait passionnante. L’éducation et le droit se
fondent sur des principes incompatibles explique-t-il : le premier
s’intéresse à l’acte passé, le second à l’évolution future. Aussi,
revendique-t-il une (r)évolution du projet pénal qui renoncerait à la logique
rétributive pour une perspective restauratrice. Le crime serait alors conçu
comme une atteinte aux personnes et non plus à l’Etat. La justice chercherait à
identifier les besoins des parties plutôt que la culpabilité de l’une d’entre
elles. Le contexte de l’acte serait pris en compte dans un but d’entente
mutuelle et de dialogue. Auteur et victime seraient alors invités à jouer un
rôle essentiel, l’un devant s’engager dans une authentique réintégration de la
communauté et le second étant reconnu dans sa souffrance. Ca a le goût et la
forme de la réparation pénale. C’est bien ce modèle qui est ici valorisé, en
réponse à son utilisation largement homéopathique.
Les Cahiers de l’Actif ont consacré leurs deux derniers numéros à la
question de l’autisme. Qu’en est-il du traitement de cette grave affection,
cinq après le plan d’urgence décrétée par Simone Veil en vue de rattraper
l’énorme retard accumulé au cours des dernières décennies ?
D’abord la tentative de mesurer la prévalence qui évolue selon la
définition plus extensive ou limitative de la maladie de 23600 à 80.000
personnes. Il y a eu aussi ces créations de places en institution qu’ont permis
les crédits débloqués et notamment les 100 millions de francs de la première
année, sans que tous les projets envisagés aient pu se concrétiser. Se sont
montées néanmoins tout un réseau de maisons d’accueil pour pré-adolescents et
adolescents. Il y a eu ensuite une meilleure prise en compte de la place des
parents dans l’élaboration et l’application du projet thérapeutique. Il y a
encore eu ce constat qui s’est confirmé de l’impossibilité d’attribuer à
l’autisme une cause unique et donc de fixer une seule et même orientation de
soins. D’où l’indication de stratégies pluridisciplinaires associant les
professions de la psychiatrie, de la psychanalyse, de l’éducation, de la
psychologie et de la pédagogie. Il y a enfin eu cet armistice entre la clinique
psychanalytique et les méthodes adaptatives qui tout en refusant la confusion
acceptent mieux de jouer la carte de la complémentarité. Les dossiers de
l’Actif sont à ce propos représentatifs puisque s’y côtoient aussi bien un
Serge Lebovici, grande figure en France de la psychanalyse que des descriptifs
des méthodes comportementalistes tel ce tableau synthétisant les diverses
approches structurée, comportementale, sensorielle auditive et autre musico
thérapeutique.
(Cahiers de l’Actif n°278/279, 1999 & n°280/281, 1999 )
Les engagements
suivants : strict respect de votre liberté, réponse rapide, prestation sur
mesure, service adapté, garantie de la qualification du personnel … peuvent à
premier abord apparaître comme une publicité du marketing privé. C’est en fait
le résultat d’une opération de démarche-qualité engagée de 1994 à 1998 par
l’ADMR, qui regroupe 2.800 associations locales proposant le service à domicile
et qui vient d’opter pour une offre à la clientèle basée sur un “ contrat
d’excellence ”. La recherche de la qualité tend à déborder le privé pour
gagner le secteur médico-social. Est un simple gadget ? Une nouvelle
procédure contraignante ? Un moyen de contrôle et de moralisation du
travail social et éducatif initié par le tutelles ? Ou tout simplement ne
s’agit-il pas de se fixer des objectifs, de mesurer l’écart avec leur
réalisation, d’accepter d’être jugés sur nos actes et d’améliorer nos
prestations conformément à notre mission de service public ? La méfiance
en tout cas est grande. Pourtant, entre un référent-qualité qui se contenterait
d’être quantitatif et procédurier et une réappropriation par le professionnel
d’un véritable sens donné à son action, nous ne devons pas hésiter. Nous ne
devons pas nous laisser imposer de nouvelles normes associées aux érosions
budgétaires, mais bien nous engager dans un processus d’autodiscipline de
construction de référentiels adaptés au secteur et à ses spécificités. C’est à
cette mobilisation qu’appelle les Cahiers de l’Actif qui ont consacré fin
1997 le dossier central du numéro 256/257. De nombreuses contributions viennent
éclairer le lecteur : expérience de terrain (CAT, MECS, Département des
Landes …), mais aussi propositions méthodologiques. Telles, ces conditions
présentées comme indispensables à une démarche-qualité : repérage de
l’objectif par la direction et engagement de sa part pour sa mise en oeuvre à
tous les niveaux, définition du client, attention toute particulière portée à
ses besoins, définition précise des tâches de chacun. Ou encore cette
énumération des étapes possibles : description de ce qui s’est passé,
analyse de ce qui aurait du se passer, comparaison de la situation réelle et
souhaitée, enfin propositions concrètes d’amélioration. La démarche-qualité
apparaît comme une remise en cause visant à perfectionner les professionnels et
à améliorer l’autonomisation des usagers. Qui peut s’y opposer ? A
condition que cela ne se passe pas en dehors de nous et que nous y intervenions
en tant qu’acteur.
(Les Cahiers de l’Actif
n°256/257 Septembre/Octobre 1997)