S’il est une procédure généralisée par la loi, c’est bien le projet de vie individualisé qui ne semble poser de problème à personne. Au premier abord, il est légitime de prendre en compte l’avis de l’usager, en le consultant et en l’associant à l’action qui le concerne directement. Pourtant, on ne l’applique qu’aux personnes vulnérables. Et si, avec le recul, cet outil largement plébiscité répondait aussi à la prétention des technocrates de l’action sociale de protocoliser, de programmer et de référencer une relation éducative ne se laissant pas suffisamment évaluer et contrôler ? Ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’abord le décalage entre l’idéal et le tangible, entre le vœu pieux et le principe de réalité, entre la prescription et la concrétisation de terrain. Que faut-il privilégier : le désir ou le besoin (et de qui) ? Les compétences existantes ou celles souhaitées (et lesquelles) ? Ce dont on rêve ou ce qui est vraiment réalisable (et qui tranche entre les deux) ? C’est, ensuite, le risque de plaquer des stéréotypes sur la singularité de la personne qui se trouve alors réduite à des poncifs dont notre secteur a le secret (l’apprentissage de l’autonomie, la socialisation, etc…). Elle peut se transformer alors en procédure routinière vide de sens, mise de côté aussitôt rédigée. A l’inverse, l’exigence d’atteindre les objectifs fixés peut rigidifier la souplesse et la plasticité qu’imposent les inévitables variations humaines. On peut encore interroger la centration sur le sujet, quand elle ne tient pas compte de l’entourage. Last but not least, n’y a-t-il pas une certaine arrogance et tyrannie à vouloir déterminer objectivement ce qui serait raisonnable qu’autrui attende de la vie ? Considérée comme un guide pour l’action, le risque existe que cette formalisation statique ne vienne figer une réalité en constante évolution faite de bricolage, d’improvisation et de paris, de flou, d’incertain et d’irrationnel, d’indicible, d’informel et de pragmatique.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1208 ■ 25/05/2017