En ce 15 juillet, la Marseillaise résonne. Je reste muet ! La foule danse dans les rues. Aucune fourmi dans mes jambes ! Les drapeaux tricolores flottent. Pas à ma fenêtre ! Cette coupe symbolise trop de valeurs exécrables. Celle de la corruption, d’abord, tant la fédération organisatrice multiplie les scandales de pot de vin. Celle du fric, ensuite : ces milliardaires en short sont une insulte permanente à la décence (les 222 millions dépensés pour le seul transfert de Neymard au PSG permettraient de nourrir 5.276.979 enfants sous alimentés dans le monde, pendant un an !). Celle, encore, d’une compétition qui valide la promotion des « premiers de cordée » et justifie la déchéance des perdants. Celle, toujours, d’un patriotisme qui a mené à l’abattoir près de 19 millions d’adultes, unanimes eux aussi au début de la grande boucherie 14-18, à soutenir leur pays. Celle, enfin, du déshonneur célébrant un pays hôte bafouant ouvertement les droits de l’homme. Alors, non, je n’ai pas éclaté de joie. C’est une toute autre émotion qui s’est emparé de moi. Elle concerne indirectement le football et plus particulièrement l’équipe de douze ados et leur entraîneur, délivrés le 10 juillet d’une grotte thaïlandaise qu’une montée inattendue des eaux menaçait d’asphyxie. L’éthique qui s’y est jouée est aux antipodes de la coupe. La solidarité internationale, d’abord : cinquante plongeurs étrangers se sont joints à l’équipe des sauveteurs. Le dévouement, ensuite : l’un d’entre eux en est mort. L’altruisme, encore : il s’agissait de sauver la vie des autres, pas de promouvoir la sienne. Celle de l’humanisme, bien sûr : ce sont des êtres humains dont on s’est préoccupé, quelle que soit leur nationalité (quatre d’entre eux n’en ayant d’ailleurs pas). Celle, enfin, du désintéressement (aucune prime à la clé). Si la victoire française m’a vraiment laissé de marbre, je suis fier de cette humanité-là qui, en Thaïlande, a fait preuve de tant d’abnégation, de générosité et d’empathie.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1235 ■ 20/09/2018