Karim vient d’avoir seize ans. Il est déscolarisé. Une gueule d’ange, souriant, agréable dans la relation individuelle, il montre de vraies capacités à accomplir des démarches. Quoique. Ce matin-là, rendez-vous a été pris chez lui pour 10h00. Il a lui-même fixé l’heure, affirmant que cela le contraindrait à se lever. Il sera seul, toute la famille travaille. Quand son éducateur sonne à la porte, pas de réponse. Quand il compose son numéro de portable, pas de réponse. Quand il ouvre la porte d’entrée et l’appelle, pas de réponse. Quand il monte à l’étage et frappe à sa porte, pas de réponse. Il ouvre sa chambre et trouve Karim dans les bras de Morphée. Il le secoue. L’adolescent se dresse dans son lit et se confond en excuses. « Tu te lèves. Je t’attends en bas ». Cinq minutes, dix minutes, quinze minutes passent. Toujours personne. Remontant à l’étage, il trouve Karim rendormi. Il le secoue à nouveau, lui promettant de lui balancer un seau d’eau, s’il ne descend pas dans les cinq minutes. Les cheveux en bataille et les yeux ensommeillés, sa majesté surgit enfin. L’entretien s’engage sur son rendez-vous récent à la Mission locale. Karim n’a plus aucun souvenir de ce qui s’y est dit. Sa mère a du venir le chercher chez un copain trente minutes avant le rendez-vous. Une nuit blanche + une consommation d’alcool + quelques pétards, il ne devait effectivement pas être très net. « Ta conseillère ne t’a même pas donné un oreiller pour que tu finisses ta nuit ? Décidément, il y a là une absence manifeste de savoir vivre ! » Sa maman lui a demandé de donner à son éducateur l’adresse qu’elle a obtenue pour un éventuel stage. Mais, il n’arrive plus à trouver ce fichu papier. « Mon cher Karim, je dois te faire une confidence : le jour où tu te lèveras quand on aura rendez-vous, que tu écouteras ce que te propose ta conseillère et que tu sauras où se trouve le papier que te confie ta maman, je crois que tu deviendras quelqu’un de profondément ennuyeux ».

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1261 ■ 12/11/2019