De la rupture à la suture: bouger pour changer

Battre la campagne et vivre une échappe belle constitue, pour certains jeunes en grande difficulté, une opportunité à ne pas rater pour trouver leur place. C’est la démonstration apportée lors du colloque d’OSER (1).

Ces jeunes qui refusent tout cadre, toute discipline et toute règle ne représentent guère plus de 2% des publics de la protection de l’enfance, de la justice des mineurs ou de la pédopsychiatrie, affirme Jean-Yves Barreyre chercheur indépendant. Leur existence n’est pas nouvelle. Ils ont toujours été là, incitant un Fernand Deligny ou un Père Jaouen à créer, en leur temps, des lieux spécifiques pour les accueillir. Mais, qu’il en fallu des débordements pour que l’action sociale prenne en compte d’une manière globale leur problématique ! Car, les approches éducatives et psychologiques traditionnelles fondées sur le dialogue, pour être utiles et incontournables et très bien fonctionner pour tant d’autres, restent sans grand effet sur eux. A combien d’impasses ont du se heurter les professionnels avant de réussir à comprendre la nécessité et la pertinence de transformer l’échappement en échappée ; de ne plus s’opposer à la fuite en avant, mais d’apprendre à la canaliser ; de ne plus subir le mouvement, mais de l’accompagner pour en faire un atout et une force. Mylène Stéphan, pédopsychiatre, confirme combien l’extrême vulnérabilité  provoquée par des carences précoces ne permet pas toujours au sujet d’exprimer ses ressentis ni de les raconter, les rendant si souvent insaisissables aux thérapies. Aussi, est-il précieux de pouvoir passer de la sensation inavouable et indicible à une perception d’éprouvés et d’émotions que l’on peut d’autant mieux verbaliser qu’ils sont partagés dans un vivre ensemble. Ce que, justement, proposent les séjours de rupture. C’est parce qu’ils sortent tant les jeunes que leurs accompagnateurs de leur zone de confort et les confrontent à une imprévisibilité, une insécurité potentielle et une interdépendance, qu’ils réussissent à créer un rapport de confiance susceptible d’évolutions positives et de changement, commente Sébastien Rojo, chercheur québécois. C’est bien cette présence d’adultes fiables, permanents, sur lesquels l’adolescent peut compter et pour qui il sent qu’il compte, qui constitue pour Christophe Moreau, docteur en sociologie, l’un des principes actifs fondateurs de ces espaces-temps vécus en commun. C’est bien ce corps à corps avec le monde qui, prenant le relais du manque de perspectives, de projection et d’avenir, devient une puissante source de sens, continue David Lebreton, anthropologue et sociologue spécialiste des conduites à risque. Et de décrire avec toujours autant d’intensité et de lyrisme les ressorts permettant de produire des effets aussi puissants. Échapper à la sédentarité de l’humanité assise, explique-t-il, c’est rompre avec les routines, en se réinventant et en se redéfinissant. Remplacer la rumination victimaire de sa souffrance par l’accueil d’émotions, c’est restaurer son estime de soi et avancer dans la quête de son centre de gravité. S’autoriser à libérer l’intensité de son être, c’est accéder à la révélation de ce que l’on a au plus profond de soi. S’ouvrir à la sensorialité du monde, c’est s’arrimer psychiquement, en se défaisant des contraintes d’une identité prisonnière des représentations. Ces constats sans appel tranchent pourtant avec une réalité paradoxale, rappelée par Olivier Archambault, président d’OSER : « alors que seuls dix départements n’utilisent pas les séjours de rupture ils ne sont que dix à les habiliter ».

 

(1) « Adolescents à problématiques multiples : incasable, vraiment ? Oser des prises de risque mesurées» OSER (Organisateurs de Séjours Éducatifs dits de Rupture), Lyon, 24 janvier 2019 oser.me


Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1254/1255 ■ 25/06/2019