Comptes-rendus
Quand les neurosciences éclairent les effets de la maltraitance
Que nous apprennent les sciences cognitives sur les effets des violences éducatives ?
Les travaux du docteur Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie (1) apportent une réponse très didactique à la question : que se passe-t-il dans le cerveau d’un enfant victime d’une agression physique ou sexuelle ? (2) L’amygdale cérébrale située dans son lobe temporal fait disjoncter son circuit émotionnel. La production à haute dose d’hormones de stress (adrénaline et cortisol) lui permet d’échapper au risque vital que fait courir une émotion extrême. Mais, si cette anesthésie protège le sujet d’évènements terrifiants, elle crée dans le même temps un état de sidération psychique qui paralysie les fonctions supérieures du cerveau situées dans le cortex, bloquant alors toute représentation mentale. Tout est mélangé, sans identification, ni tri, ni contrôle possible : sentiments de terreur, de détresse, de douleur et de mort imminente, mais aussi de honte, de culpabilité et d’estime de soi dégradée. Les blessures physiques ou mentales sont alors enfouies dans une mémoire traumatique de l’événement non intégrée et piégée dans certaines structures de l’encéphale, différente de la mémoire autobiographique normale. Cette amnésie reste parfois prégnante sur une longue période. Tant qu’il se sent en danger, l’enfant met tout en œuvre pour se dissocier. Il va très mal, mais il contient tout en lui. Quand il hurle, c’est en silence. Mais si les souvenirs liés à ce vécu douloureux sont alors neutralisés et placés à distance, ils ne se sont pas pour autant effacés. À tout moment, les circuits de la mémoire qui avaient un moment été court-circuités peuvent être réactivés. Cette mémoire enkystée, « fantôme » hyper sensible et incontrôlable est prête à exploser, réitérant avec le même effroi et la même détresse les événements violents, les émotions et les sensations qui y sont rattachés. Émergeant alors sous la forme de flash-back ou des réminiscences envahissants, l’enfant revit ou rejoue ce qu’il a vécu, ressentant les odeurs et les sensations perçues à l’identique de la façon dont ils se sont manifestés au moment du traumatisme. Il peut alors mimer ce qu’il a enduré, répéter ce qu’il a entendu ou reproduire les agressions subies sur d’autres enfants. Paradoxalement, c’est quand il se sent en sécurité, bénéficiant par exemple d’une séparation d’avec la source de la blessure reçue et vivant dans un milieu apaisant et bienveillant, qu’il va remettre en scène le traumatisme vécu. Ces crises peuvent parfois être explosives et particulièrement difficiles à gérer. Mais, elles montrent que l’enfant reprend vie. L’une des stratégies de protection qu’il peut mettre en œuvre correspond à des conduites de contrôle, d’évitement et d’hypervigilance vis-à-vis de tout ce qui est susceptible de faire exploser la mémoire traumatique. Mais, il peut aussi provoquer des conduites de dissociation lui permettant de calmer l’état de tension intolérable ou tenter d’éviter sa survenue : soit, en absorbant des produits psychotropes, soit par la sécrétion de ces endorphines aux effets voisins que l’organisme produit sous l’effet du stress. L’auto agression, les violences contre autrui, les mises en danger, les passages à l’acte délinquants le plongent alors dans ce sentiment d’irréalité, d’étrangeté, d’absence lui donnent alors le même sentiment d’être spectateur d’un film qu’il regarde qu’au moment du traumatisme initial. Ces manifestations sont trop souvent assimilées à des dysfonctionnements individuels, rarement comme les conséquences des traumatismes vécus. Le défi de la protection de l’enfance est d’intervenir suffisamment tôt pour permettre au cerveau de se réparer.
(1) https://www.memoiretraumatique.org(2) Journée universitaire de pédiatrie médico-légale intitulée « Conséquences des violences sur la santé des enfants et des adolescents » & « La prise en charge médicale des enfants victimes » Murielle Salmona in « Le parcours judiciaire de l’enfant victime » érès, 2015
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1226 ■ 05/04/2018