Comptes-rendus
AIRE 2000 - Instituts de rééducation ?
L’AIRe(1) a cinq ans d’existence. Créée à l’origine par une poignée de directeurs d’Instituts de Rééducation de la région Bretagne, cette association regroupe aujourd’hui la moitié des structures accueillant les enfants souffrant de troubles du caractère et du comportement (l’autre organisation fédérant des IR étant l’ANCE). Les journées nationales proposées chaque année, qui restaient jusqu’alors confidentielles, sont devenues le dernier endroit où se bousculent les représentants des plus hautes sphères administratives. Il suffit pour s’en convaincre de se référer aux rencontres qui se sont déroulées les 29 & 30 novembre et 1er décembre dernier à Nîmes. On a vu s’y succéder à la tribune un vice-président de Conseil général, un administrateur de la CNAM, un sous-directeur de l’action sociale chargé au ministère des handicapés, des Inspecteurs généraux tant de l’Education nationale que des affaires sociales, sans oublier Ségolène Royale qui souhaitait ardemment pouvoir intervenir mais qui a du se contenter, du fait de son emploi du temps chargé, d’un long message qui a été lu par le président de l’AIRe. Cette reconnaissance par les instances officielles ne peut être perçue qu’avec satisfaction par des professionnels qui, à l’image du CNAEMO ou de l’ANPF, cherchaient avant tout à se regrouper pour constituer un pôle fort et crédible susceptible de servir d’interlocuteur face aux autorités. Pour autant, ce nouvel intérêt accordé par l’administration aux Instituts de Rééducation n’est sans doute pas lié uniquement à l’habileté et à l’efficacité de l’AIRe (même si celles-ci ne font pas de doute). La prise en charge des troubles du caractère et du comportement ne concerne que 16.000 usagers (contre 72.000 enfants atteints de handicap mental). Ce qui constitue sans doute l’attrait principal de ce secteur, c’est son savoir-faire particulièrement précieux à une époque où les établissements scolaires sont de plus en plus en difficulté. La technicité de professionnels qui côtoient au quotidien l’agressivité, les transgressions et les passages à l’acte des jeunes qu’ils ont en charge est tout particulièrement intéressante pour des autorités plutôt débordées et dépassées par les phénomènes de violence. L’Education nationale n’a toujours pas franchi le pas d’une formation initiale ou continue de ses personnels qui intègrerait aux côtés des indispensables apports pédagogiques sur la transmission des savoirs, une approche éducative, pourtant bien nécessaire, qui passerait par l’apprentissage de la gestion des conflits et des groupes, de la connaissance minimale de la psychologie de l’enfant et la compréhension du sens des actes posés, de la distance à prendre face à son éventuelle agressivité et des comportements à adopter face aux jeunes les plus agressifs, toutes choses que les personnels des IR savent faire. C’est un vrai problème qui se pose à une institution comme l’Education nationale qui se retire pour laisser la place au médecin et aux différentes rééducation : comment peut-elle éduquer pour qu’il n’y ait pas à rééduquer ? Car, est-ce l’échec scolaire qui est une tare ou une maladie ou bien plutôt l’école qui ne répond pas à son ambition républicaine et égalitaire, ne permettant pas vraiment, du fait de son manque d’adaptabilité, à chacun de trouver, dans le respect de sa différence, sa place ?
Mais, ces journées de l’AIRe ne se sont pas contentées de servir de support à des échanges francs, parfois vifs, mais jamais complaisants entre les professionnels de terrain présents dans la salle et les représentants du ministère des affaires sociales, de l’Education nationale ou de la CNAM à la tribune. Elles ont été aussi l’occasion d’approfondir toute une série de questions extrêmement présentes dans les préoccupations de l’association et qui couvrent un large champ. C’est ce qui a été fait deux jours durant au travers d’une dizaine d’ateliers.
Ainsi, y a-t-on abordé, dans la mouvance des rapports officiels qui se succèdent et qui évoquent la revalorisation de la nécessaire place des parents, ces Conseils d’établissements prévus par la loi, mais bien peu présents ou bien peu investis, sauf pour servir d’une manière encore trop fréquente encore d’alibi. Cette réactivation des familles est d’autant plus pertinente, que si l’on veut que les enfants soient pris en charge, pas tant pour les problèmes qu’ils posent, que pour les difficultés qu’ils rencontrent, l’axe essentiel du travail les concernant, doit passer par la restauration des liens avec l’entourage, liens dont la rupture ou la dégradation est bien à l’origine de leur symptôme. On a coutume de dire que les IR sont au carrefour des problématiques éducative, sociale, psychologique et thérapeutique. L’approche globalisante qui s’ensuit ne peut vraiment fonctionner dans le respect de l’usager que si un travail de réseau s’engage. Il ne suffit pas d’être ensemble pour fonder la communication qui est bien la base d’un partenariat digne de ce nom : c’est toute une culture qu’il faut refonder. Celle par exemple du « tiers circulant », cette triangulation qui permet à chaque intervenant de s’appuyer sur les autres professionnels, afin de ne pas se retrouver seul, face à face, avec un enfant dont les passages à l’acte risquent sinon, trop facilement, de provoquer chez lui, en écho, d’autres passages à l’acte. La mutualisation des moyens autour de l’enfant, ce n’est pas seulement demander à l’autre, mais aussi lui offrir ses services. Elle doit substituer en lieu et place du jeu de la patate chaude qui consiste à se repasser l’enfant dont personne ne veut, en essayant de ne pas être celui ou celle qui se retrouvera en bout de chaîne avec lui, une répartition des tâches qui permette de convenir de ce que chacun peut apporter dans une perspective de contributions qui s’additionnent et non qui cherchent à se renvoyer la balle. Cette dynamique, dont chacun reconnaît la nécessité, se retrouve aussi dans ces innovations qui surgissent çà et là et qui tentent de se développer comme réponse au défi que lancent en permanence ces enfants et adolescents qui cumulent une souffrance psychique telle que leurs conduites à risque se multiplient, leurs provocations à l’égard des adultes s’accumulent, le danger pour l’usager lui-même et les autres (adultes ou enfants) s’avérant permanent. Les journées de Nîmes ont permis, en outre, à l’ANCREAI de rendre compte du travail effectué par trente cinq de ses conseillers sur trois ans, pour élaborer une méthodologie d’évaluation se proposant de placer l’usager au centre. Ce dont il s’agit ici, c’est de partir, non pas des résultats obtenus (toujours aléatoires et nécessitant une prise en compte sur le temps), mais des moyens mis à disposition, des services proposés, des prestations assurées. La méthode s’inscrit d’abord dans une énumération des besoins pour ensuite établir la liste des ressources disponibles. Une application particulière de cette approche intéressera tout particulièrement le public présent : la gestion collective des situations de risque, de conflit et de transgression.
Adapter les dispositifs aux besoins des usagers, développer l’usage de réseau, favoriser l’intégration au système ordinaire d’éducation : tel est le leitmotiv qui domine le champ du social aujourd’hui. Ces orientations sont dans l’ensemble acceptée. Le tout est de savoir comment les mettre en oeuvre, en évitant que se contentant des bonnes intentions, elles restent lettre morte. C’est ce même vent qui a balayé les travaux de l’AIRe, association qui s’inscrit avec détermination dans une dynamique porteuse d’évolution et d’ajustement des pratiques. Les journées de Nîmes aurons permis à un intervenant belge de venir exposer la façon dont les IR fonctionnent chez nos voisins, mettant l’accent sur une large expérimentation des méthodologies d’intervention, en dehors de la psychanalyse encore bien dominante dans l’hexagone, mais aussi le principe de subsidiarité qui y est appliqué : l’Etat légifère et contrôle, mais n’intervient que lorsque le secteur associatif (réparti entre un pilier catholique et un pilier laïc) a laissé une place vacante. Un avant-goût des travaux programmés pour 2001 à Lille, puisque ceux-ci seront consacrés à la prise en charge en Europe des enfants victimes de troubles du caractère et du comportement.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°559 ■ 11/01/2001
(1) AIRe BP 40 35221 Châteaubourg
Une situation paradoxale
Les instituteurs intervenant au sein des Instituts de Rééducation doivent théoriquement être titulaires du CAPSAIS. Ce diplôme comporte plusieurs spécialisations correspondantes chacune à une inadaptation particulière (handicap mental ou physique, déficience visuelle ou auditive …). La spécialité qui rencontre le moins de candidats est celle destinée aux IR. Résultat, se succèdent, trop souvent, à ces postes qui doivent être pourvus au mois de septembre de chaque année, des enseignants non formés, qui sont très vite en difficulté et se mettent en arrêt maladie, sans pour autant être remplacés. D’autres ont choisi le cheminement inverse : décider de travailler en IR et essayer de se former à la suite. Ces instituteurs exercent donc leurs fonctions sous contrat. Ils ne font pas partie de l’Education nationale et sont salariés de l’association comme les autres professionnels qui y travaillent. Ils sont alors assimilés au secteur de l’enseignement privé confessionnel dont ils dépendent concernant notamment la formation continue. Cette situation est critiquée par l’AIRe qui revendique un statut d’enseignant d’un secteur associatif et laïc de service public qui permettrait, notamment, de financer ses propres formations. Cet isolement et cette non-reconnaissance pèsent sur des maîtres qui, déjà confrontés à de rudes conditions de travail, ne trouvent pas auprès de l’administration la valorisation qu’il mériterait d’obtenir.