AIRE - Quand les enfants débordent les professionnels

La seconde journée de réflexion proposée par l’AIRe (voir encadré) ce 2 juin 1997 portait en sous-titre: « Troubles débordants dans des institutions débordées ». La population prise-en-charge par les Instituts de Rééducation a cela de remarquable que l’expression de ses troubles prend le plus souvent des formes on ne peut plus spectaculaires. Les professionnels qui y sont confrontés se sentent parfois dépassés. L’incertitude, l’incompréhension ou le malaise s’emparent parfois de l’intervenant comme de l’équipe tant à titre personnel que professionnel. L’un et l’autre peuvent se trouver submergés par le sentiment de ne pas maîtriser et la peur de ne pas y arriver. Réfléchir à cet état de fait se situe bien au coeur de la problématique quotidienne.

 

État des lieux

Cette journée d’étude a été l’occasion pour les professionnels de terrain de dresser l’état des lieux. Mohamed Kassou, directeur d’établissement et Président de l’AIRe a tout d’abord rappelé que les débordements auxquels sont confrontés les professionnels relèvent d’un comportement normal pour les populations accueillies. Il s’agit là rajoutera-r-il d’une «pathologie blanche» réactionnelle à une absence de repères, de symbolisation, de culpabilité et à un manque d’élaboration. Michel Defrance, autre directeur d’I.R. expliquera que le cadre institutionnel est justement là pour servir de lieu protégé où peuvent s’exprimer toutes les expérimentations et les tentatives maladroites de l’enfant pour entrer en relation avec l’autre. Progressivement, il apprend à mesurer ses actes et à gérer ses conflits. Si l’adulte intervient pour substituer son contrôle au manque de contrôle de l’enfant, l’objectif n’en relève pas moins d’aider ce dernier à structurer sa personnalité, car rien n’est décidable à sa place.

 

Entre agir et cadre

Jean-Pierre Pinel, psychologue formateur à l’IFTS d’Echirolles propose une modélisation qui pourrait séduire tout professionnel en contact avec le sujet-caractériel type. L’enfant reçu en I.R. souffre d’une pathologie essentiellement axée sur l’agir. Il lui est impossible d’élaborer. Ses actes sont démentalisés et sans signification. Ses difficultés sont d’ordre identitaire: l’individu ne peut accéder au sentiment d’existence en tant que sujet à part entière. Il s’attaque aux liens intra-subjectifs, aux projets, aux cadres et confronte les professionnels à un vécu massif d’échec. Il est rétif à toute forme d’aide psycho-thérapeutique: au pire, il la refuse activement et massivement, au mieux, il est incapable d’en tirer le moindre bénéfice. C’est à partir de cet effondrement des cadres internes et externes de l’individu que l’institution va devenir le révélateur de sa pathologie. Tout se passe comme s’il y avait exportation psychique des dysfonctionnements internes du jeune qui viennent se fixer sur le cadre dans une sorte de transmission archaïque hors-langage et de résonnance avec les failles personnelles des professionnels, de l’équipe et de la structure. S’instaure alors une escalade symétrique, une homologie fonctionnelle entre le sujet qui se place dans l’agir et l’institution qui, elle, se situe dans le contre-agir. En observant les difficultés du cadre qui s’identifie à l’image de l’histoire du sujet, il va être possible de travailler sur la problématique de ce dernier. Les dérives observables au sein de l’institution sont multiples. Ainsi en va-t-il de l’identification projective pathologique, l’un ou l’autre dans l’équipe, voire celle-ci dans son ensemble adoptant un comportement et un mode de pensée conformes au désir du jeune. On pense aussi à ces clivages, chacun se répartissant entre le bon et le mauvais objet conformément à la logique elle-même clivée de l’enfant. Sans oublier ces paralysies qu’induisent les paradoxes incontenables exprimés par certains sujets, telles ces demandes à être limité s’accompagnant de rejet violent dès que des limites sont posées (menaces de fugue ou de tentatives de suicide).

Jean-Pierre Pinel distingue 4 formes dans l’agir de l’enfant. Cela va des manifestations les plus démentalisées jusqu’à celles un peu plus élaborées.  Première attitude possible, la pure décharge de l’excitation jusqu’à épuisement de la tension. La seconde relève d’actes-signes aux visées inter-subjectives. Ils portent une signification à destination d’un autre sujet: enfant ou adulte. Troisième forme possible, les actes-écran qui tentent de faire ressentir à autrui ce que l’enfant n’arrive pas encore à ressentir lui-même. Enfin dernière étape l’agir-expérience étayante qui permet un vécu débouchant sur une représentation. Le travail du professionnel consiste à donner du sens à ce que l’enfant donne à voir afin d’identifier son degré de maturité et surtout de repérer à quel stade il en est de la simple décharge d’excitation jusqu’à l’agir-expérience étayante.

 

Clinique du diagnostic

Ali Magoudi, psychiatre et directeur du DERPAD (cf article), propose aux professionnels de se placer d’un point-de-vue diamétralement opposé aux pratiques habituelles. Pour lui, si la violence de l’enfant doit être interrogée, ce ne doit pas être seulement du côté de la problématique du sujet. Fréquemment l’échec d’une action en faveur d’un individu est clôturé par une théorie qui vient apporter une explication rassurante concluant à une pathologie de l’individu. Or, si sans théorie, on n’entend rien de la souffrance de la personne, en voulant à tout prix plaquer ses propres modèles théoriques sur les situations étudiées, on n’écoute plus ce que celles-ci nous disent. L’enfant est trop vite perçu à partir uniquement de la difficulté qu’il exprime. Les dysfonctionnements de son milieu d’origine risquent toujours de se reproduire au sein de l’institution. Aussi est-il pertinent d’interroger l’échec aussi du côté de la pathologie de l’indication.

La mise en question de l’intervenant a été confirmée par Béatrice Ang qui, au travers d’un exposé sur l’adolescence, a rappelé comment les adultes pouvaient se sentir investis ou désinvestis par un jeune qui teste chez eux ses propres interrogations. Les adolescents les traversent, les usent en travaillant ce qu’il y a de vivant en eux. De ce point-de-vue, le processus de transfert et de contre-transfert ne concerne pas que la cure psychanalytique, il intéresse aussi l’éducateur. L’institution en devenant un espace de scénarisation et de mise en acte doit rester solide pour pouvoir contenir le sujet.

Dans le fonctionnement des IR, on se situe donc bien dans cette logique où l’institution se charge de la souffrance de l’enfant et se contamine au contact de ses dysfonctionnements. La question qui se pose alors est bien celle de la détoxication. Non pas sous la forme d’un rejet ou d’une exclusion, mais d’un travail indirect sur le sujet au travers des effets que celui-ci induit sur le cadre structure. On passe là d’une clinique de la personne souffrante à une clinique de la structure contenante. Un tel angle d’attaque, par son aspect inaccoutumé et original pourrait apporter aux professionnels une bouffée d’oxygène pour mieux comprendre leur quotidien.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°404  ■ 26/06/1997

 

Une association qui ne manque pas d’AIRe

Il existe 320 établissements répertoriés en France qui relèvent d’une population atteinte de troubles du comportement. Bien d’autres structures accueillent des enfants et des jeunes rencontrant des troubles associés (tels les IME par exemple). Mais les Instituts de Rééducation  revendiquent leur spécificité. Cette particularité recoupe néanmoins des pratiques très diversifiées et des références conceptuelles très variées. Le besoin se faisait sentir depuis quelques années d’un échange entre professionnels et institutions pour réfléchir en commun, sortir de l’isolement et acquérir une authentique représentativité face aux différentes autorités concernées: CDES, ASE, Justice, Commissions Ministérielles, ...

En décembre 1995, naît l’AIRe: l’Association des Instituts de Rééducation. Parti du Finistère, le regroupement s’étend très vite à l’ensemble de la Bretagne. Le 3 juin 1996, se tient la première Journée d’Etude « Les Instituts de Rééducation: pour qui ? Pour quoi faire ? » qui donnera lieu à des actes et à un enregistrement vidéo encore disponibles.

Aujourd’hui l’AIRe fait largement appel à tous les établissements du territoire afin de s’enrichir de leurs savoirs et de leurs expériences éducatifs, pédagogiques, psychothérapeutiques, sociaux et institutionnels. Plus que jamais, il s’agit pour l’association de constituer un regroupement représentatif susceptible de jouer un rôle privilégié auprès des pouvoirs publics. Pour autant, l’association ne se veut pas seulement une instance de défense catégorielle. Elle entend aussi être un lieu d’élaboration et de recherche collective sur les troubles de la conduite et du comportement et sur les pratiques professionnelles. Ainsi, les travaux de la journée du 3 juin 1996 ont connu une continuité tout au long de l’année sous la forme de commissions regroupant différents personnels des établissements. Appel est donc lancé à rejoindre l’association pour toute personne ou structure concernées par le devenir des IR.