Comptes-rendus
Enfance & violence à travers l’histoire
Colloque Européen de la Fondation de l’Enfance 1997
La Fondation pour l’Enfance proposait les 12 et 13 décembre un colloque européen sur le thème « enfances et violences: les violences faites à l’enfance sont-elles l’enfance des violences de l’histoire ? »Pour répondre à cette question, les organisateurs avaient fait appel à des chercheurs et spécialistes venus des quatre coins du vieux continent: Irlande, Grande-Bretagne, Suisse, Allemagne, Italie, France ...
Beaucoup d’historiens sont venus à la tribune expliquer le passé d’une problématique qui se pose depuis la nuit des temps.
Un Moyen-âge protecteur et une Renaissance vengeresse
Dans la période historique qui s’étend sur 1000 ans de la chute de Rome à l’avènement de la Renaissance, la protection de l’enfance expliquera Danièle Alexandre-Bidon, est assurée sous la haute autorité de l’Eglise. L’enfant est alors considéré comme héritier de l’innocence de Jésus-christ. C’est à ce titre qu’il doit être respecté. Celui ou celle qui lui porte atteinte est damné. La société vit alors en petites communautés au sein desquelles l’auto-surveillance règne. Peu de choses échappent au voisinage et aux autorités locales. Ainsi, l’infanticide est très gravement puni. Par contre, l’abandon est préconisé: la mère laisse son enfant en un endroit où elle sait qu’il sera recueilli. Des recommandations sont données quant aux tuteurs qui devront être désignés (avec comme précision étonnante, le fait d’exclure les sourds, les muets et les débiles). La violence exercée à l’encontre des enfants n’est guère plus admise. Des traités préconisent une éducation par la douceur excluant les châtiments corporels. Un adulte responsable de la mort d’un enfant sera autant puni s’il s’agit d’un accident que s’il y a eu volonté délibérée. Il semble ne pas il y avoir alors plus de tolérance à l’égard des dérives violentes qu’aujourd’hui. Qui plus est, le droit de l’enfant est à ce point considéré que certaines peines d’emprisonnement d’adultes ne sont pas exécutées dans le cas où celles-ci priveraient l’enfant de son parent !
André Zouzi s’est élevé, quant à lui, contre l’identification systématique de la violence des mineurs à des carences familiales. Il affirme que ces phénomènes sont tout au contraire constitutifs de l’enfance elle-même et directement liées aux civilisations dans lesquelles elles se développent. A l’appui de sa thèse, il a longuement développé l’exemple du sud de la France et du nord de l’Italie à l’époque de la Renaissance. La violence des mineurs y était alors codifiée selon un rituel très précis. L’enfant était conçu comme pur et innocent, intermédiaire entre les hommes et les manifestations du divin et naturellement chargé des médiations avec les morts. En conséquence de quoi, ils étaient chargés -plus particulièrement entre 7 et 14 ans- des actes de brutalité et des sévices à l’égard des proscrits de la communauté. Immunisés par leur ingénuité, l’âme vengeresse des morts ne pouvait venir les harceler. Il leur revenait donc la charge de procéder aux lynchages, aux lapidations et aux tortures des condamnés, voire au dépeçage des pendus. La justice divine s’exprime à travers eux, leur violence étant alors considérée comme sacrée. Il s’agit là d’une forme d’expression et de canalisation de la violence urbaine pour le moins insolite.
XIX & XXème: la lente remontée des droits de l’enfant
Les débuts du capitalisme coïncident avec une terrible régression du sort des enfants. Il n’y a plus d’innocence ni de pureté qui vaillent. Un travail harassant les attend dès leur 6-7ans, avec son lot de mortalité et de dégénérescence dues à la maladie et à l’épuisement physique.
Il faut attendre la fin du XIX ème siècle pour que commencent à émerger les droits de l’enfance à la dignité. Anne-Marie Sohn a étudié les dossiers pénaux entre 1870 et 1914 consacrés aux parents maltraitants. L’historienne expliqua le sort réservé alors aux membres les plus jeunes de la société. La punition est non seulement un droit des parents mais aussi et surtout un devoir garant de bonne éducation. Le châtiment corporel est préconisé dans la mesure où il est proportionnel à la faute (notamment pour réagir face aux enfants têtus et « sales »-en fait énurétiques). Mais il ne doit pas atteindre l’intégrité corporelle de l’enfant. En fait, il y a condamnation de la violence uniquement lorsqu’ apparaît une volonté délibérée de donner la mort (par les coups, l’absence de soins, la sous-nutrition). C’est en 1889 qu’est votée la première loi rendant possible la déchéance de la puissance parentale. Une autre loi suivra 9 ans plus tard prévoyant le placement du mineur victime au cours de l’enquête. Mais jusqu’en 1914, juges et jurés feront preuve d’une étonnante clémence face aux parents meurtriers. On reste encore pour l’essentiel dans la logique du droit de correction paternelle (abolie définitivement en 1935).
La conflagration de 1914-918 expliquera Stéphane Audoin-Rouzeau, constitue un épisode particulièrement marquant de la conception que la société d’alors a de la guerre. Celle-ci doit remplir une mission éminemment civilisatrice. Le conflit armé est éducateur en ce qu’il forge une génération d’élite. Ecole, Eglises, loisirs sont les vecteurs du conditionnement des jeunes esprits. L’embrigadement des enfants est tout à fait valorisé. C’est le passage obligé de la régénération de la société.
Un combat de tous les instants
Cette remontée à travers le temps a permis de montrer qu’il n’y avait pas dans l’histoire de progression linéaire du pire vers le meilleur.
L’intervention de Catherine Bonnet concernant les viols systématiques de femmes tant en Bosnie qu’au Rwanda au cours des années récentes, a montré qu’aucune époque n’a malheureusement le monopole de la barbarie. Aucun groupe humain ni aucune période historique n’est ni en particulier porteur de violence, ni ne peut en être exempt. La civilisation apparaît tout au contraire comme une couche bien superficielle qui disparaît très vite dans les périodes de trouble politique important ou de guerre. L’humanisation est un processus en gestation permanente. L’éducation qui permet de refouler les pulsions les plus violentes toujours présentes est un combat de tous les instants. Comme le dira Dominique Desjeux, sociologue de son état, c’est une action éternellement recommencée à l’image d’un Sisyphe condamné à pousser son rocher en haut de la colline, celui-ci dévalant la pente dès le sommet atteint.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°386 ■ 20/02/1997