Comptes-rendus
GRAPE - La séparation
Et si, dans la séparation, chacun trouvait sa place ?
Le GRAPE (1) proposait cette année ses journées d’étude les 16, 17 et 18 novembre à Nîmes sur le thème de la position des parents d’enfants placés.
Longtemps dénigrée et rejetée comme pathologique, la famille naturelle est revenue en force ces dernières années, au point d’aboutir à des excès inverses. Alors qu’auparavant, rien n’était pire qu’elle, on assiste aujourd’hui dans certaines équipes psycho-éducatives à un véritable acharnement consistant à maintenir à tout prix les relations de l’enfant avec ses parents au détriment d’une éventuelle perpétuation de la maltraitance.
Le colloque du GRAPE fut bien loin de ces extrémités, faisant largement place aux arguments et logiques diverses, voire contradictoires, démonstration s’il en fut qu’en la matière nuances et interrogations valent bien mieux que certitudes et conviction absolue.
La place de la famille naturelle
Il est parfois important de suspendre les visites à la famille expliqua ainsi Michelle Rouyer, psychiatre au Placement Familial thérapeutique. Cela se justifie notamment lorsque l’enfant est utilisé comme thérapeute des adultes. Les visites protégées sont un autre moyen d’aider les acteurs à prendre le recul nécessaire. La présence d’une tierce personne, permet alors à l’enfant d’échapper à l’emprise parentale. Pour autant, est-il fondamental de laisser aux parents une place positive. Hervé Jaoul, psychanalyste, ira dans le même sens, rappelant l’importance de préserver leur existence ne serait-ce que par la parole quand il n’est pas possible de faire mieux.
Mais, ces travaux ont aussi mis en avant le soulagement que certains géniteurs attendent des Institutions qu’on puisse dire non à leur place. Tous les liens filiaux ne sont pas faits d’amour et d’affection. On peut parfois d’autant mieux aimer qu’on ne se supporte pas au quotidien. L’éloignement est alors une authentique chance de préserver un contact qui puisse échapper ainsi au déchaînement de haine source de maltraitance.
Qu’est-ce qu’un bon parent ?
Encore faut-il que cette prise de distance soit un véritable moyen de vivre autrement la relation filiale. Le Travailleur Social qui s’identifie à la souffrance de l’enfant dira Arlette Pelé, elle aussi psychanalyste, nourrit une agressivité, inconsciente certes mais qui peut aller jusqu’au désir (fantasmatique) de mort à l’égard du parent auteur de mauvais traitements. L’implication de ce mécanisme n’est-il pas à l’origine parfois de la reproduction par l’intervenant lui-même des traumatismes familiaux ? Intervenir face à des adultes souffrant de dysparentalité, c’est bien poser la question du bon parent. Alain Brice a tenté d’interpréter ce que le psychanalyste pouvait évaluer de la fonction parentale. Procréer, c’est investir un enfant de toute une série de missions dont celle de tout accomplir et tout réparer. Combler une solitude ou compenser un deuil constitue alors le désir de tout parent: être ce qu’on n’a pas été ou avoir ce qu’on n’a jamais été, tel est le rôle que l’on fixe à son fils ou à sa fille. Si l’objectif consiste bien finalement de réparer au travers de sa progéniture ses propres parents, le bon parent est un fantasme inaccessible. Or, comment être disponible à son enfant, quand on n’a pas terminé de régler ses comptes avec ses propres parents ? On est là peut-être au coeur de la reproduction transgénérationnelle.
Pour tout arranger, le droit n’est pas là pour clarifier la situation. La loi, il est vrai, n’est pas la morale. Mais, expliquera Yves Lernout, premier Juge d’instruction en Avignon, elle ne précise pas qui est le bon ou le mauvais parent. Le Juge des Enfants statue sur le danger qu’encoure le mineur. Il garantit sa protection en suspendant au besoin certains droits relevant de l’autorité parentale. Mais, il n’est pas dans ses attributions de juger le parent sur l’exercice de sa fonction. Le Juge des Affaires Familiales, lui, décide des droits de visite et d’hébergement. Mais, quand il le fait, c’est en fonction des intérêts de l’enfant pas de celui des parents. Le Juge des Tutelles se prononce sur le transfert de l’autorité parentale et ce en fonction non de la qualité mais des capacités de ceux qui l’exercent. Le Juge d’Instruction instruit sur les faits et les actes, non sur les aptitudes des individus en tant que tels. Reste le juge du siège de correctionnelle ou d’assise, susceptible d’imposer une mesure de déchéance de l’autorité parentale. Outre, qu’il s’agit là d’une décision exceptionnelle, elle est révisable. Décidément le « Juge des parents », ça n’existe pas, la filiation semblant à proprement-parler intouchable. Pourtant, paradoxalement, ce sont ces mêmes parents qui se sentent les premiers visés par la décision du juge des Enfants. La justice vient protéger les enfants, mais ce sont les parents qu’elle atteint en premier. Cela provient sans doute de l’immense blessure narcissique qui fait s’écrouler le désir de réparation précédemment évoqué.
Compétition ou collaboration ?
Comme on le voit, les débats ont été riches: les propos des uns renvoyant aux interventions des autres. Cette diversité se retrouve sur le terrain. Chacun relégué à un rôle déterminé a même un peu trop tendance à défendre son pré-carré et à essayer de limiter les pouvoirs de l’autre. Il y a d’un côté ceux qui savent sans décider et de l’autre ceux qui décident sans savoir explique Jean-Marie Baudoin, Conseiller à la Cour d’Appel de Montpellier. Le partenariat est pourtant un moyen efficace de se valider réciproquement (même si on peut tout aussi bien se tromper à plusieurs que tout seul). On peut illustrer ce voeu par un exemple qui démontre qu’il n’est pas condamné à rester pieux. Ainsi, le département du Gard a été le lieu dans les années 80 d’échanges inter-institutionnels autour de la constitution du schéma départemental. Cette réflexion a été concomitante aux réformes de 1984 sur les droits des usagers de l’Aide Sociale à l’Enfance et de 1986 sur l’obligation de révision des dossiers tous les deux ans par le Juge des Enfants. L’émergence de nouveaux besoins ont concrètement fait avancer les partenaires: suivi intensif mêlant l’intervention au sein de la famille et des périodes d’internat, service de suite souple intervenant après une période d’internat pour favoriser le retour progressif en famille, prestation d’hébergement à temps partiel correspondant à un parent périodiquement en crise ... C’est ainsi qu’est né le « Service d’Adaptation Progressive en Milieu Naturel » qui assure des mesures à mi-chemin entre le placement et le non-placement. Le Juge des Enfants reste ordonnateur de la décision d’aide éducative, mais il confie à une structure la tâche d’en assurer les modalités pédagogiques. Certes, cet outil nécessite la prise de recul et l’évaluation nécessaires. Il répond en tout cas au traumatisme de l’ «enlèvement judiciaire » perçu comme un jugement de valeur tant des parents qui se vivent comme ’’mauvais’’, que du jeune qui sent responsable du placement.
Jacques Trémintin – Décembre 1995
(1) Le Groupe de Recherche et d’Action pour l’Enfance a été créé en 1975. Il est composé de professionnels de terrain et de chercheurs qui essaient de réfléchir autour de l’articulation respectivement de l’intérêt de l’enfant, le droit des familles et les missions des services sociaux et médicaux. Il propose des formations, des colloques et journées d’étude et édite une revue trimestrielle (« La lettre du GRAPE »).
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