Handicheval

Le cheval : vecteur de thérapie et d’insertion

Depuis quelques années, l’utilisation du cheval pour soigner et insérer les populations en difficulté ne cesse de prendre de l’importance. Ces pratiques trouvent régulièrement leur consécration lors de colloques mondiaux qui attirent tant les parents que les personnes handicapées, les professionnels (thérapeutes, éducateurs, gens de chevaux) que les bénévoles du milieu de l’équitation. Fin avril 2000, les dixièmes rencontres internationales avaient lieu en France(1). Compte-rendu.

L’utilisation du cheval en tant que support thérapeutique propice au changement des comportements et à l’évolution des capacités tant physiques que mentales a connu à l’échelle internationale de multiples applications. Les initiateurs et praticiens de cette approche, regroupés au sein de la Fédération Internationale d’Equitation Thérapeutique (voir encadré) se retrouvent tous les trois ans pour des rencontres internationales. Cette année, c’était au tour de la France d’être l’hôtesse de ce colloque mondial qui a regroupé entre le 26 et le 29 avril à Angers et à Saumur plus de 650 congressistes issus de 37 nationalités. Les larges espaces du centre des Congrès d’Angers ont ainsi bruissé, telle la Tour de Babel, d’une multitude de langues qu’un système d’interprétation simultanée permettait de traduire tout au long des interventions. Communications plénières le matin faisant le point sur l’état actuel des recherches et des pratiques, carrefours l’après-midi permettant la présentation et l’échange sur les nombreuses expérimentations qui se déroulent à travers le monde.

 

Un support éducatif et thérapeutique

Pendant des millénaires, le cheval a été utilisé par l’homme comme outil de travail, machine de guerre ou moyen de transport. Ce n’est que depuis quarante ans, qu’il est employé à des fins thérapeutiques ou rééducatives. Ce support s’est avéré, au cours des années, un fabuleux moyen de reconstruction et de réhabilitation de l’individu lui permettant de reprendre confiance en lui, de s’autonomiser et de s’insérer.

Ce qui fait du cheval un instrument essentiel de médiation, c’est d’abord son invariabilité. En effet, qu’il soit monté par un cavalier handicapé ou non, ayant des troubles du comportement ou non, l’animal impose ses propres règles qui doivent être respectées sous peine de se trouver désarçonné ou de se placer en situation périlleuse. « Avec le cheval, on ne triche pas » affirme ainsi, Christine Léger.

 Autre caractéristique marquante de cet animal, c’est bien la fonction qu’il remplit en tant que miroir du comportement. Des recherches ont pu démontrer que des sentiments comme l’anxiété ou la peur (de s’approcher, de tomber, de perte le contrôle, …) ne font que refléter des angoisses inconscientes déjà présentes chez le cavalier et qui resurgissent à l’occasion du contact avec l’animal. Ainsi, le cheval va devenir agressif, si son cavalier est agressif ou va réclamer de l’affection si celui-ci est attentionné. Il s’établit ainsi une relation très particulière entre l’individu et sa monture, contraignant la personne à une vraie rigueur et une responsabilisation quant aux soins à apporter ou aux comportements à adopter. Le bien-être du cheval est au final proportionnel au niveau de complicité et au degré d’entente établi avec celui qui le monte.

Enfin, le cheval est remarquable en ce qu’il induit une relation de confiance réciproque. Certes, la collaboration de l’animal peut être obtenue par la force et la contrainte. Mais, l’obéissance peut tout aussi bien, et avec bien plus de bonheur être acquise par une connaissance de ses besoins, de ses modes de fonctionnement, de la bonne interprétation du langage corporel … Pour autant, ce lien relationnel n’est jamais acquis une fois pour toutes. Il faut toujours négocier, dans le calme et la patience, et maintenir la relation avec l’animal, ce qui peut avoir des effets de resocialisation tout à fait essentiels du sujet dans son rapport aux autres.

 Au travers de ces quelques conceptualisations, on comprendra aisément, pourquoi thérapeutes et éducateurs font de plus en plus appel à la pratique de l’équitation dans leurs interventions auprès des populations  en difficulté.

 

Des applications tout azimut

Les illustrations en la matière sont innombrables et semblent pouvoir s’appliquer dans toutes les directions. C’est ce que sont venues démontrer les soixante cinq communications présentées au cours des treize carrefours proposés.

Ainsi, de ces personnes qui, souffrant de dépression, s’enferment  souvent dans leur bulle. Elles adoptent une vision pessimiste sur le monde et sur elles-même et sont victimes d’anxiété et de troubles somatiques. Le contact avec le cheval, expliquera Véronique Rizet (France) leur apporte une autre prise de conscience sur la réalité : rétablissement d’une volonté d’agir (pour diriger l’animal), relation affective saine (les contacts avec sa monture ne sont pas menaçants et autorisent à nouveau à oser éprouver des sentiments), rencontre avec l’autre (autour d’une même pratique, voire d’une même passion).

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, l’équitation peut aussi être aidante pour les personnes atteintes de maladies vertébrales, à l’image des résultats significatifs obtenus en Géorgie par le Docteur Dimitri Tsverava sur plus de six cent patients. Les vibrations ressenties sur le dos du cheval se répercutent sur le cavalier qui est amené à recentrer sa colonne vertébrale, consolider ses articulations  et décompresser son tronc nerveux.

Pia Strausfeld exposera, quant à elle, l’expérience d’équithérapie proposée à une population de femmes toxicomanes en Allemagne : ce qui est surtout valorisé, c’est, là aussi, l’éveil corporel. L’interaction harmonieuse avec l’animal présente des qualités relaxantes et équilibrantes : rythme, mouvement, balancements permettent alors de privilégier plus ses émotions que ses pensées.

En Australie, le programme de la Riding for the Disabled Association a été appliqué depuis 1987 auprès d’enfants de 2 à 5 ans, souffrant de différents handicaps ou de retard de développement. Cette intervention précoce, utilisant le cheval, aide les bébés, petits enfants ou enfants d’âge préscolaire à atteindre leur potentiel de mouvement, de langage d’apprentissage et de jeu.

Marguerite Weith, psychothérapeute psychanalytique dans l’est de la France, s’est vue confier, fin 1997, par la Direction départementale du travail, un groupe de jeunes chômeurs en échec répétitif, avec pour objectif de les remobiliser et les remotiver. La thérapie mise en œuvre autour du cheval et de la vie de groupe a permis aux personnes prises en charge d’accepter de se départir de leur faux-self et de se reconstruire autour d’un projet professionnel. L’expérience a obtenu des résultats tout à fait positifs au point qu’elle a été reconduite une deuxième fois et qu’une troisième session a débuté en mars de cette année.

 

Du côté des professionnels

Toutes ces expérimentations qu’on pourrait continuer à énumérer doivent, pour être couronnées de succès, respecter un certain nombre de conditions. Christian et Nicole Léomant, sociologues au CNRS, les ont précisées pour ce qui concerne la prise en charge de jeunes de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. On peut néanmoins aisément, se permettre d’élargir leurs conclusions à tout accueil de population en difficulté. C’est d’abord les modalités pédagogiques qui doivent s’adapter aux problèmes tant cognitifs que physiques du public concerné et faire une large place aux dimensions ludiques, empiriques et favoriser une progression adaptée et sécurisante. Ensuite, il apparaît essentiel de prévoir une collaboration intelligente entre les différents professionnels qui se retrouvent sur le terrain. Les moniteurs d’équitation recherchent plutôt l’apprentissage d’un ensemble de techniques qui constituent in-fine un art. Les encadrants psycho-médico-éducatifs s’attachent plus, quant à eux, à l’espace de socialisation qui offre aux populations dont ils sont la charge une possibilité de dynamisation de leur évolution et de leur histoire. A la logique d’acquisition d’un savoir-faire s’oppose donc une logique de réparation, voire de savoir-être. Cette inévitable confrontation d’objectifs différents  ne doit amener ni à la confusion sur les rôles et les places de chacun ni à une compétition acharnée (qui serait malvenue pour des acteurs cherchant avant tout à socialiser leur public). Par la connaissance et la reconnaissance de l’autre dans sa spécificité, ce qui est visé, c’est bien la complémentarité de chacun. Cela passe par une sensibilisation des professionnels du cheval à la problématique des personnes en difficultés et des professionnels du handicap, de l’inadaptation et de la thérapie à l’approche du cheval qu’ils doivent apprendre à s’approprier.

Yves Decavele, président de la fédération Handi-cheval a placé d’emblée, ces dixièmes rencontres sous le signe des mutations que notre monde connaît aujourd’hui. La mondialisation et la globalisation qui semblent vouloir s’imposer posent la question de la place réservée à ce qui n’est pas compétitif. A force d’encenser la technologie, la loi du marché et la finance comme seule voie du bonheur, la différence, l’inadaptation ou le handicap ne risquent-ils pas de rester sur le bord du chemin, s’interrogera-t-il?  Un congrès comme celui d’Angers a contribué à poser la nécessité impérative pour chaque être humain d’accéder à l’autonomie et à l’intégration sociale. Plus que jamais, « nous devons approcher cette dimension de l’être en souffrance dans la diversité de cultures, dans le respect de l’intimité de sa douleur, nous rendre disponible à sa détresse sans violer son intégrité ni sa fierté ». Et la rencontre entre l’homme et le cheval est de celle qui réussit tout particulièrement à préserver la place de l’autre en tant que sujet là où tant de démarches le réduisent à une simple place d’objet. Et ce n’est pas là la moindre de ses réussites.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°540  ■ 20/07/2000

 

(1)     « Cheval et différences » dixièmes rencontres internationales proposées sur deux sites : le Palais des congrès d’Angers et l’Ecole Nationale d’Equitation de Saumur du 26 au 29 avril 2000. Organisateur : Fédération Nationale Handi Cheval BP 144 79204 Parthenay Cedex Tél. :05 49 95 07 77 Fax. : 05 49 95 18 23. Actes disponibles à partir de septembre 2000

 
 
Une Fédération à l’échelle mondiale
La Fédération Internationale d’Equitation Thérapeutique (en anglais FRDI : Federation of Riding for the Disabled International) compte 35 associations membres (issues de 25 pays) et 271 membres associés (dans 39 pays). Constituée à l’origine sur une dynamique kinésithérapique, elle s’est très vite ouverte aux logiques psychothérapeutiques, puis à une prise en charge globale de l’individu (médico-sociale, éducative, insertion sociale et sport-loisirs). Depuis 1972, et au rythme d’une fois tous les trois ans, la Féfération propose un colloque international qui a lieu à tour de rôle sur un continent, à chaque fois, différent. Après la Nouvelle-Zélande et les USA en 1994 et 1997 et avant Israël en 2003, c’était au tour de la France d’accueillir la rencontre (la toute première organisée en 1972 avait déjà eu lieu à Paris).
 
 
 
La Fédération Nationale Handi Cheval
La Fédération Nationale Handi Cheval se fixe pour objectif le développement de la pratique des activités cheval pour les personnes handicapées ou en difficulté d’adaptation. Elle est organisée en comités locaux, départementaux et régionaux.
La Fédération organise chaque année des formations en direction des enseignants équestres (connaissances des handicaps et des inadaptations) et des techniciens des inadaptations (connaissance du cheval  et de son utilisation à des fins éducatives et thérapeutiques).
Elle a organisé par deux fois (en 1990, à Saint Lô et en 1997 à Angers) un festival du film vidéo portant sur le cheval et le , l’inadaptation et l’insertion (37 films français ou étrangers étaient d’ailleurs projetés en salle ou sur des dix écrans vidéo, lors des rencontres d’Angers).
Elle participe depuis 1993 à la route du poisson, cette course d’attelage qui relie tous les deux ans Boulogne sur mer à Paris. L’équipe de la Fédération est composée pour moitié de personnes valides et l’autre moitié de personnes handicapées ou en difficulté.
 
 
Les athlètes aussi …
L’hipothérapie ne concerne pas que les populations en difficulté. Le sport de haut niveau s’y est, lui aussi, intéressé de très près,  à l’image de cette équipe de volley-ball du Brésil qui a inscrit à ses stages d’entraînement, des séances d’équitation. Les exercices individuels pratiqués ont pour objectif d’améliorer les capacités personnelles de chaque athlète à tenir son équilibre, à s’orienter dans l’espace, à développer sa motricité, sa puissance, sa rapidité, sa concentration et son pouvoir de décision. Les exercices collectifs visant quant à eux à valoriser la complicité, la camaraderie, l’esprit de groupe, l’entraide, la confiance, la loyauté…