Paroles d’enfant 1999 – Violence

Violence subie, violence agie - D’une idéologie à l’autre

Cela fait un certain nombre d’années déjà que les effets pervers de la loi de 1989 systématisant les signalements en cas de mauvais traitements à enfant ont été soulignés et critiqués. Judiciariser à outrance ce « crime pas comme les autres » peut comporter des conséquences dommageables pour la victime. Alors que le rappel à la loi permet d'apporter dans certaines situations le support adéquat favorisant la reconstruction de l'enfant, dans d’autres cela peut avoir des effets catastrophiques. On ne peut charger le système judiciaire d’un rôle qui n’est pas le sien. Etablir les preuves d’une infraction et punir relèvent de la justice, aider un enfant à grandir avec et malgré ce qu’il a subi de la part d’adultes sensés le protéger et non le persécuter correspond à une fonction psyho-socio-éducative. Les deux secteurs d’intervention peuvent parfois se recouvrir et trouver un terrain de collaboration utile et nécessaire. Mais, en la matière, il n’y a aucune rencontre qui serait incontournable. Il faut faire attention aux positions de principe qui en viennent à ignorer la personne dans ce qu’elle a d’original et d’unique. On ne peut poser un cadre étroit exclusif dans lequel il s’agirait de faire entrer de force les situations que nous rencontrons. Elever la judiciarisation de la maltraitance comme seule et unique voie de résolution du problème, c’est s’enfermer dans une idéologie des plus dangereuses. Mais toute aussi douteuse est la conviction inverse qui prétend exactement le contraire, en réagissant ainsi dans le plus bel effet miroir en condamnant tout recours à la loi. C’est ce courant qui s’est largement exprimé au cours du colloque organisé par l’association « Parole d’enfants » les 8 et 9 mars (1). En tout bien, tout honneur, il convient de citer les propos de Catherine Marneffe, pédopsychiatre à Bruxelles et grande prêtresse de ce qu’elle appelle elle-même la « nouvelle protection de l’enfance ». De quoi s’agit-il ? De condamner le placement institutionnel qui ne vaut pas mieux que le maintien dans les familles naturelles. De condamner toute attitude antagonisme avec les parents au nom d’une prétendue défense de l’intérêt de l’enfant. De condamner toute stigmatisation et toute scandalisation à l’égard des parents maltraitants. De condamner les campagnes de prévention qui ne feraient que répandre un mouvement de panique dans la population. En fait, pour cette intervenante,  yaka offrir aux familles un service d’écoute garantissant gratuité et confidentialité pour que celles-ci viennent d’elles-même se faire soigner. Si elles ne le font pas spontanément, c’est uniquement par peur de l’ignoble répression qui menace de leur enlever leur progéniture. On imagine très bien le père de famille muré dans sa toute-puissance, terrorisant depuis des années sa famille, méfiant à l’égard de tout regard étranger, apprenant à la télévision l’abolition de toute poursuite pénale et décidant dans les plus brefs délais de prendre rendez-vous avec Madame Marneffe. Ou encore, l’individu pervers soumettant depuis 10 ans chacun de ses enfants à ses pulsions sexuelles maladives, vivant une véritable illumination à l’annonce de la même nouvelle et demandant l’aide d’un psychologue. Voilà le maillon essentiel, celui qui nous manquait depuis si longtemps pour enfin savoir comment résoudre le drame de la maltraitance : faire confiance aux parents pour résoudre par eux-mêmes la question ! Madame Marneffe ne fait là que pousser à l’extrême une logique qui s’inspire de la thérapie familiale et qui pose un principe de base : les parents sont compétents. Tout le travail que doivent assurer les intervenants c’est bien de le leur montrer. Ainsi, comme nous explique Claude Séron, président de  Parole d’enfants « si nous dictons aux parents les conduites à adopter, nous les infantilisons et les disqualifions ». Ils possèdent en eux-mêmes les bonnes réponses. Il faut juste les aider à les trouver. Cette conviction s’enracine dans une vision vitaliste de l’être humain : l’individu serait dotée d’une force vitale positive qui garantirait son auto-régulation. Il serait doté à la base d’une nature bonne dont il s’agirait de favoriser l’émergence. Il faut donc lui faire confiance, ne pas le brimer ni étouffer les potentialités qu’il possède en lui. Cette réhabilitation des compétences du sujet fait partie intégrante de l’approche que beaucoup de professionnels ont adoptée dans leur travail quotidien. Mais poussée dans ses extrêmes, cette vision amène à la toute-puissance de l’individu chargé de toutes les capacités. Voilà pourquoi les familles même maltraitantes sont présentées comme seules à posséder les éléments permettant d’amener l’enfant sur la voie adulte dans les moins mauvaises conditions. Les mauvais traitements doivent être gérés en écartant toute rupture entre l’enfant et ses parents. Le meilleur des placements institutionnels ou en famille d’accueil n’arrivera jamais en conséquence à valoir la plus mauvaise des familles naturelles. C’est là un pur produit idéologique qui conçoit comme sacré le lien familial incontournable à la survie psychique de l’enfant.

Le paradigme qui présida à la protection de l’enfance il y a encore 20 ans s’appuyait sur une perception des familles comme avant tout pathologiques : il fallait à tout prix en éloigner l’enfant pour le sauver. Ce que nous propose les tenants du familialisme c’est exactement le contraire : « hors de la famille point de salut ».

Mais, entre la disqualification absolue des parents et leur attribution de compétences absolues et préexistentes, il reste une voie médiane, celle qui privilégie le respect du sujet pour ce qu’il est avec ses aptitudes et ses faiblesses et hors des représentations idéologiques des uns et des autres. L’important alors ce n’est pas de placer à tout prix l’individu dans une case préétablie, mais de déterminer ce qu’il est dans ses potentialités positives comme déficientes.

Oui, il existe des parents qui possèdent les moyens d’assumer leur parentalité. Pour peu qu’on leur laisse la possibilité de rebondir, ils arrivent à trouver les ressorts du changement et démontrent leurs capacités à s’adapter. Une intervention sociale trop prégnante présente alors le risque de réduire à néant ces aptitudes dans l’autonomie.

Mais oui, il existe aussi des parents dans l’incapacité d’assumer leur parentalité. Ils peuvent jouer leur rôle pour seulement 5, 10 ou 50 % ou pas du tout. Il convient alors d’aménager une place dans la vie de leur enfant à hauteur de ce qu’ils peuvent fournir. Rester aveugle à cette réalité au nom de principes idéologiques, c’est livrer l’enfant comme un vulgaire cobaye que l’on sacrifie à la prétendue émergence de compétences qui n’existent que dans la tête des idéologues familialistes.

 Ecarter les parents d’office est aussi dangereux que les investir d’une prétendue capacité qu’ils ne pourront de toute façon pas fournir.

Le colloque de Paroles d’enfants s’est déroulé pendant deux journées en offrant une tribune à de nombreux intervenants qui étaient loin d’être tous sur cette position. Mais, le fil rouge qui a parcouru cette rencontre s’est appuyé sur l’invalidation des professionnels et l’idéalisation de la famille maltraitante.

Il est sain et nécessaire de braquer le projecteur sur les pratiques institutionnelles non exemptes de dysfonctionnements et de dérives. Mais, il n’apparaît gère pertinent de chasser une idéologie par la porte de devant tout en laissant une autre idéologie tout aussi pernicieuse entrer par la fenêtre de derrière !

 

Jacques Trémintin - Mars 1999

 

(1)   « Violence subie, violence agie » Association « parole d’enfants » 19 chemin des Sablons 91300 Massy.