Bartholomé J-P - Service du Droit des Jeunes

Qui mieux que Jean-Pierre Bartholomé, l’un des fondateurs du Service du Droit des Jeunes et actuellement Président de l’Association qui les fédère pouvait expliquer la dynamique, l’esprit et la philosophie de cette expérience hors du commun ?

Lien Social: A quels besoins et à quels manques le Service du Droit des Jeunes a-t-il donc répondu ?

Jean-Pierre Bartholomé: La Belgique comme la plupart des pays industrialisés ne pêche pas par un manque de services sociaux. Il y en a 36: une pièce pour chaque trou. Ils ont tous des compétences spécifiques et sont chacun plus ou moins spécialisé. Ce qui fait qu’on a pu voir -comme en France- au niveau statistique 7,8 travailleurs sociaux défiler dans chaque famille sur la même année ... Cette pléthore de services sociaux n’aboutit pas à une meilleure aide rendue à la population, au contraire.  On a pu parler de désordre protecteur dans la mesure où ces organismes se refilent le client dans des démissions en cascade vers les secteurs les plus spécialisés. On retrouve alors l’usager en psychiatrie ou dans les structures judiciaires qui en viennent à se considérer comme la poubelle des autres. Le postulat de départ du Service Droit des Jeunes, ne consistait pas à se substituer à toutes ces Institutions, en se disant qu’après 7 interventions qui ont échoué, la huitième allait réussir. Le pari, c’était de renvoyer le client vers le service qui avait été défaillant pour que ce dernier puisse apporter l’aide qu’il est sensé rendre. Il s’agissait bien donc au départ de réorienter les gens vers le filet de protection au travers des mailles duquel ils étaient passés.

 

Lien Social: Le Service Droit des Jeunes a 18 ans d’existence, pouvez-vous nous retracer son itinéraire ? 

Jean-Pierre Bartholomé:Le SDJ a commencé quatre ou cinq ans avant d’exister, par la réflexion et l’analyse de travailleurs sociaux, d’éducateurs du tribunal de la jeunesse et de magistrats: constat d’inefficacité et de mauvaise application de la loi. Il y a en Belgique -comme en France- une loi de protection à visée éducative plutôt que pénale. On s’apercevait que le système judiciaire chargé de prendre des décisions ne faisait pas toujours confiance au système éducatif et tournait la loi pour prendre des sanctions pénales. On mettait les mineurs quinze jours en prison pour qu’ils comprennent. On appelait cela « marquer le coup ». On s’est aperçu que des magistrats bafouaient la loi. Des décisions étaient souvent prises sans consultation des parents ni des jeunes. Or, si on écoutait ce que les uns et les autres avaient à dire, on était convaincu que les décisions à prendre seraient meilleures. On se sentait assez impuissant face aux magistrats. Quant aux avocats, la plupart n’y connaissaient rien au système institutionnel. Or, il aurait fallu qu’ils viennent mettre leur nez dans la Protection de la Jeunesse. C’est ainsi qu’on a ouvert une permanence en dehors du tribunal pour que les gens puissent venir se plaindre des dysfonctionnements. Un peu sur le modèle syndical d’un office de droit social où les travailleurs peuvent demander à leur syndicat de préparer un dossier pour leur avocat quand ils ont à se plaindre de leur employeur. Les usagers de la justice les plus défavorisés qui n’ont  pas accès naturellement aux avocats comme les bourgeois, on allait leur préparer leur dossier juridique. Très vite, les gens ne se sont pas limités aux conflits qui les opposaient au Tribunal de la jeunesse. Ils sont venus se plaindre du Centre Public d’Aide Sociale, de l’Ecole, de leurs Parents ou de leur famille. Donc une demande plus large que celle qu’on avait imaginé couvrir au départ. On s’est aperçu que certains services administratifs brimaient plus les gens que la justice qui aurait le pouvoir de le faire: « tu n’habites plus avec un tel sinon tu n’auras pas d’aide » ou la municipalité qui dit « vous n’aurez pas de logement si vous ne mettez pas vos enfants à l’école municipale » des tas d’abus de droit pour lesquels les gens avaient des plaintes à émettre. La première expérience a été subventionnée par le budget public. Mais on restait marginal.  Puis on a fait condamner la Belgique par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour son système d’incarcération des mineurs. On a aussi fait condamner le ministère de l’Education Nationale par le Conseil d’Etat pour des exclusions scolaires. Avec l’argent que nous donnait l’Etat Belge, on l’a fait condamner par des juridictions indépendantes belge ou internationale. Autre gros coup, la remise en cause par le Conseil d’Etat d’une doctrine bi-centenaire qui, au nom de l’incapacité juridique du mineurs, rendait impossible son action seul en justice. Il l’a rendu possible tout au moins à titre conservatoire ou pour des actions qui ne pouvaient pas léser son intérêt. Ainsi, un enfant peut se plaindre de son renvoi scolaire même si ses parents ne s’en plaignent pas. Un jeune peut demander de l’aide au Centre Public d’Aide Sociale s’il est mineur, si ses parents négligent de le faire ou veulent l’empêcher de le faire. C’est révolutionnaire. Racontez cela en France et on dit « il est fou ce belge, il raconte n’importe quoi !  ». On aurait dit cela il y a quinze ans en Belgique, la réaction aurait été la même. Maintenant, on a lu cela dans les revues de jurisprudence, on ne nous prend plus pour des fous. La reconnaissance est venu de là aussi: on a fait ce que des avocats n’avaient jamais fait. On a investi sur le plan juridique des terrains qui étaient inexplorés. On était dans un mouvement social qui était favorable à cette direction-là. On a peut-être accéléré les choses. Au départ les chefs d’établissement scolaire nous raccrochaient le téléphone au nez en disant qu’ils n’avaient pas de temps à perdre  avec nous quand on voulait intervenir en parlant de droit. Essayer de les apitoyer sur la situation familiale du jeune, cela tous les assistants sociaux l’avaient bien fait avant nous. Nous, nous les interpellions sur ses obligations par rapport à l’élève. Cela les faisait sauter au plafond. « Qui êtes-vous pour me demander des comptes ? » Au début ça a fort choqué, comme ça choquerait en France si on s’y mettait. C’est rentré dans les moeurs à partir du moment où les autorités ont été obligées de s’expliquer devant le juge. Pas toujours de bon gré, mais on est devenu crédible à ce moment-là. Toute la procédure d’exclusion disciplinaire qui n’était jamais respectée a fait l’objet d’un rappel à l’ordre par circulaire de la part du ministère de l’Education Nationale. A partir du moment où le ministère a été condamné en justice, celui-ci a rappelé les principes élémentaires à respecter: audition de l’enfant avant la prise de sanction, accès au dossier pour pouvoir se défendre ...

 

Lien Social: Vous qui vous êtes ainsi opposé aux Institutions, vous êtes devenu à présent une Institution ?

Jean-Pierre Bartholomé: Sans doute: On est devenu une Institution, du fait-même que ce n’est plus la grande aventure. Les dix ou quinze premiers procès qu’on a gagné, on a ouvert une bouteille de champagne à chaque coup, on faisait la fête, on en parlait. Maintenant, c’est la routine. On fait condamner l’Etat belge à Strasbourg pour les droits d’inscription ?... C’est normal ! Peut-être qu’on est moins inventif. Il y a les anciens qui sont un peu fatigués. Et puis, il y a les jeunes qui apprennent à reproduire ce que les autres avaient inventé. Peut-être va-t-il falloir qu’on nous secoue pour redevenir inventif, sinon on va se scléroser.

 

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

LIEN SOCIAL ■ n°366  ■ 26/09/1996