Lempert Bernard - Accusation 1

Lien Social : Pouvez-vous nous parler des conséquences personnelles et professionnelles de cette cabale dont vous avez été victime ?

Bernard Lempert : Sur le plan personnel c’est vraiment une épreuve, c’est évident. C’est une sorte d’observatoire des passions humaines. On voit le pire et le meilleur. J’ai pu voir des capacités de haine étonnantes et aussi des solidarités et des manifestations d’amitié très fortes aussi. On a l’impression qu’on monte aux extrêmes dans les passions humaines. Au plan professionnel, c’était une question de vie ou de mort. Parce qu’il s’agissait bien d’une volonté de destruction. Ne pas se battre et surtout ne pas placer le débat sur un plan judiciaire c’était voir l’activité professionnelle s’éteindre. La seule manière de la sauvegarder et de la relancer ça a été justement de sortir de l’ombre et de mettre les choses en pleine lumière c’est à dire en justice. Puisque le propre de la diffamation et de la rumeur c’est de refuser le côté clair et transparent.

 

Lien Social : Quelles ont été les réactions au sein du milieu professionnel : avez-vous eu beaucoup de gens qui changeaient de trottoirs quand ils vous croisaient ?

Bernard Lempert : Beaucoup de gens non, quelques uns, pas forcément ceux qu’on aurait cru. Les conséquences institutionnelles ont été variées. Il y a eu des réflexes de peur chez certains et de mise à distance et de mise entre parenthèses. Mais il y a eu quand même plus de solidarité que de défiance au niveau professionnel. Cela il faut le souligner. Simplement ce n’est pas une solidarité qui s’est beaucoup affichée, beaucoup montrée. Il y a quand même eu des exceptions comme le Journal du droit des Jeunes. Il y a eu un soutien assez fort allant jusqu’à des attestations pouvant être produites en justice. Au niveau du travail individuel il y a eu beaucoup de soutien des gens que j’ai reçus, les gens étant prêt à témoigner. Il y a eu des aspects sympathiques au niveau humain.

En fait, ce qui a eu le plus d’effet institutionnellement, ce n’est pas tant, la diffamation qui pour beaucoup de gens n’a pas posé beaucoup de problème, c’est la liste parlementaire, cette liste absurde extra-judiciaire et déclarée sans auteur. Là il y a eu un auteur mais il a disparu, il a mis la clé sous la porte. Elle cette liste prétend avoir un caractère officiel, mais on ne peut plus changer le texte puisqu’il n’y a plus d’auteur. C’est ça qui a été le plus dur moralement parce que si contre la diffamation il y une bagarre possible, contre cette liste il ne semble pas il y avoir de recours. Le plus éprouvant, c’est d’être confronté à une sorte d’injustice étatique, l’Etat ne respectant pas ses propres règles et une démocratie ne respectant ses propres principes de liberté de conscience. Ce qui fait l’Etat de droit c’est le recours, là où il n’y a pas recours, il n’y a pas d’Etat de droit. Tout d’un coup, on a l’impression d’être dans un autre monde. C’est certainement le plus dur à supporter.

 

Lien Social : Comment un professionnel doit-il réagir quand il est confronté à ce genre d’accusation ?

Bernard Lempert : Il y a plusieurs manières. Tout d’abord, de façon très humble, chercher les soutiens et les solidarités. La deuxième chose selon moi,  c’est d’étudier la situation en terme juridique et de voir s’il y a la possibilité ou non d’attaquer sur le plan juridique, de quelle manière, avec quelle la stratégie Toujours,  parce que c’est le jeu de la transparence et qu’il faut replacer l’affaire sur le plan du droit. Et puis je crois qu’il y a une troisième chose qu’il faut faire pour soi, c’est analyser, analyser toujours, analyser le discours de l’agresseur, afin de ne pas le subir. Ca a un intérêt philosophique, mais ça fait partie de la défense, c’est une manière de contenir la haine.

 

Lien Social : Et pour quelqu’un d’extérieur qui prend connaissance d’une telle affaire, comment doit-il réagir ?

Bernard Lempert : D’abord en essayant de connaître la réalité des faits, de ne pas rester au niveau des opinions. Car le propre de la rumeur c’est de déréaliser les choses. Il faut savoir de quoi exactement il s’agit, revenir au réel. Ensuite, réfléchir à la position de témoin. Quand on est le témoin de violences majeures un moment, on devient une cible. Selon la situation institutionnelle dans laquelle on est, on est plus ou moins exposé. Nous, on avait un point de vue un peu dissident, pas marginal mais dissident. On n’était pas protégé par une institution lourde, donc on était beaucoup plus exposé. Le fait, en tant que témoin, de nommer les réalités de la violence nous a placé en première ligne. La question c’est comment rester témoin en ne mettant pas sa lampe dans sa poche et en même temps organiser sa propre protection : c’est une question qui est posée à l’ensemble de la profession.

 

Propos recueillis par Jacques Trémintin

Non paru ■ déc 1998