La bientraitance de l’enfant en protection sociale
Françoise PEILLE, Armand Colin, 2005, 272 p
« Le placement de l’enfant dans une autre famille a existé de tout temps » explique dès ses premiers mots cette praticienne expérimentée de la protection de l’enfance. Refusant de s’inscrire dans un débat idéologique pour ou contre les séparations, elle rappelle que le bien-être de l’enfant doit obligatoirement prendre en compte les parents et l’évaluation clinique de leurs liens avec lui. Mais en même temps, elle n’hésite pas à dénoncer les tentatives de maintien coûte que coûte de ces mêmes liens qui n’ont une valeur ni absolue, ni intouchable. La souffrance des parents, explique-t-elle, concerne le plus souvent bien plus la perte de l’enfant imaginaire idéalisé, que la douleur d’être éloigné de l’enfant réel qu’ils n’ont pu investir dans la quotidienneté, en s’identifiant à lui et à ses besoins. Car, c’est quand même les expériences mutuelles quotidiennes, les échanges, les conflits et les ambivalences qui forment le creuset du sentiment d’appartenance réciproque et non la filiation biologique. Reprenant la métaphorisation du psychiatre Jean-Claude Delaporte, l’auteur évoque les indications de séparation : le feu (quand la flambée conflictuelle place l’enfant au coeur des conflits incessants du couple), le froid (quand le désintéressement et le désinvestissement privent l’enfant de l’amour dont il a tant besoin) et l’eau (quand la famille se noie entraînant ses enfants avec elle). Il faut alors à l’enfant un territoire pour exister, un temps pour vivre, un espace pour penser. Et préserver des figures d’attachement qui perdurent, tout en maintenant ses parents à distance, lui permet parfois enfin de se construire, là où le délitement progressif des relations, vécu comme un abandon à répétition par l’enfant, est d’autant plus grave qu’il n’est pas reconnu comme une maltraitance. Et Françoise Peille de proclamer avec force ce qui devrait être écrit au fronton de tout service de protection de l’enfance : « le premier droit de l’enfant n’est pas d’être élevé par ceux qui l’ont conçu, mais de bénéficier d’une figure d’attachement sécurisante qu’il puisse intérioriser toute son existence » (p.242) Si ses parents peuvent jouer ce rôle, c’est tant mieux. Sinon, il faudra privilégier une suppléance. Pourquoi un tel acharnement à soutenir artificiellement des liens familiaux qui ne veulent pas se tisser ? L’intérêt que nous avons de l’enfant vient de l’intérêt de l’enfant que nous avons été ou que nous aurions voulu être, de l’enfant que nous avons ou que nous aurions voulu avoir, explique l’auteur. Et, le tiraillement intérieur qui pousse chaque intervenant à s’identifier soit à l’enfant, soit à ses parents doit être triangulé par un va et vient permanent entre la clinique et son propre ressenti. Il n’y a qu’ainsi que l’on pourra distinguer ce qui vient de nous ou de nos partenaires et ce qui relève vraiment de l’intérêt de l’enfant.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°778 ■ 15/12/2005