Loin des yeux, loin du cœur? Maintenir les liens parents-enfants dans la séparation

SELLENET Catherine, Belin, 2010, 427 p.

État des lieux, réflexion théorique, manuel d’application, outil de travail, le dernier ouvrage de Catherine Sellenet est un peu tout cela à la fois. L’auteur jongle habilement avec les questions et les doutes, mettant en scène la polyphonie des différents points de vue. Le maintien des liens entre les enfants et leurs parents dont ils sont séparés constitue une problématique centrale que ce soit dans le conflit conjugal, dans la protection de l’enfance, dans la maladie psychiatrique ou l’incarcération de l’un des parents. Il est de plus en plus fréquent que la présence d’un tiers soit ordonnée par la justice, comme garantie face aux difficultés potentielles ou au danger supposé. La manière dont se déroulent alors les rencontres dépend pour beaucoup des soubassements théoriques qui animent les professionnels. Entre les psychanalystes défendant l’existence irrévocable de liens psychiques liés à la filiation (et qui revendiquent leur maintien inconditionnel) et les partisans de la théorie d’un attachement instinctif et biologique se tissant avec les adultes disponibles (et qui conditionnent les relations au sens que cela prend pour l’enfant), la bataille idéologique fait rage. Entre ces deux extrêmes, les pratiques professionnelles se déclinent sur des registres multiples allant du légalisme (appliquer la décision du juge), au minimalisme (permettre à l’enfant de vérifier que son parent est toujours vivant ou qu’il est toujours autant en difficulté), en passant par la conviction de pouvoir reconstruire ou soigner ces liens, l’attitude pédagogique (apprendre aux parents à l’être), certains étant composés d’une mosaïque des unes et des autres. La règle en la matière, c’est justement qu’il n’y en a pas ! Si la fonction principale du tiers est bien de réguler la chorégraphie de l’apprivoisement réciproque des parents et de l’enfant, en les aidant à trouver la distance acceptable entre eux, il existe autant de cliniques que d’équipes et de modèles théoriques. Le travail de tiers peut insister alors successivement ou conjointement sur le rôle d’interprète, de messager, de passeur, de facilitateur, de contenant, d’expert, de mémoire, de médiateur, de réceptacle de la souffrance ou d’apaisant. Il semble néanmoins que ces temps de visites échouent à reconstruire des liens par ailleurs carencés, à pacifier les conflits conjugaux ou à éduquer durablement les parents. Ils permettent surtout de maintenir un lien affectif ou de maintenir la continuité avec une histoire et une culture familiales. S’il peut être important de travailler à relier un enfant à ses parents, ce n’est pas pour le ligoter, l’enfermer ou l’étouffer dans une relation fusionnelle, mais pour lui permettre aussi, de s’en libérer.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1012 ■ 31/03/2011