Chroniques de vies ordinaires. Carnets d’une assistante sociale
AGHA Valérie, Ed. Fleuve Noir, 2010, 218 p.
Valérie Agha exerce comme assistante sociale, depuis dix ans : quatre années en polyvalence de secteur et six autres, auprès du personnel de la fonction publique. Son métier n’est pas toujours très bien identifié, par le grand public. Traîne encore l’image de ces enquêtrices venant fouiller les placards pour contrôler que le mari est bien parti et qu’aucun homme n’est venu le remplacer ou de ces enleveuses d’enfants de la DASS. Convenons que les intéressées ne communiquent guère, par pudeur, par modestie ou simplement, par respect du sacro saint secret professionnel. Voilà donc un ouvrage qui devrait changer la donne. L’auteur le précise, d’emblée : elle n’a ni chignon, ni tailleur bleu et n’est pas particulièrement acariâtre. Le ton est donné : celui de l’humour et de la tendresse, Valérie Agha ne cachant ni ses humeurs, ni ses émotions. Des usagers qu’elle reçoit, il y a d’abord ceux qui adorent se plaindre, incapables de trouver la moindre solution, comme si leurs lamentations étaient constitutives de leur mode d’existence. Il y en a d’autres qui cumulent les mauvais coups du sort, le destin semblant s’acharner sur eux. Comme Eugénie, dont le fils aîné, atteint d’une maladie orpheline, attend depuis quinze ans qu’aboutisse le pronostic mortel établi par les médecins, dont le cadet accumule les actes de délinquance, dont la benjamine vit avec un homme violent et dont la petite-fille souffre d’un handicap cérébral et moteur. Et puis, il y a tous ceux qui pensaient que l’assistante sociale, c’était fait pour les paumés et les fauchés et qui finissent par venir la rencontrer. Comme ces jeunes couples qui achètent très vite des logements à crédits sur 30 ou 40 ans et font un bébé, avant de venir la voir pour engager une procédure de divorce. Mais, il y a aussi toutes ces personnes exceptionnelles de simplicité et de vérité. Si certains n’attendent rien, se contentant de s’écouter parler, d’autres viennent chercher cette oreille bienveillante et ce soutien bien rare dans une société où chacun court, brasse du vent et où personne n’entend plus personne. Valérie Agha ne se contente pas de croquer ses clients. Elle décrit avec autant de lucidité les institutions. Ces réunions d’équipes encombrées de palabres et de digressions où chacun ramène le sujet général à son cas particulier. Mais aussi, ces commissions sociales peuplées de représentants syndicaux ou d’élus qui utilisent l’once de pouvoir qu’ils détiennent pour porter les pires jugements et se repaître du malheur de leur prochain sous couvert de leur porter secours. Lecture décapante, hilarante et stimulante, à retrouver sur le blog de l’auteur (http://assistantesociale.over-blog.com).
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1009 ■ 10/03/2011