Eduquer sans punir. Une anthropologie de l’adolescence à risques

Roland COENEN, érès, 2004, 132 p.

En 2005, cela fera dix ans que le Tamaris n’aura pas renvoyé un seul adolescent et cinq ans qu’il n’en aura sanctionné aucun. L’auteur, directeur de cette institution bruxelloise pour jeunes en grande difficulté, explique d’emblée que cet abandon de toute menace et de toute sanction est le produit non d’une décision délibérée, mais le fruit des pratiques sociothérapeutiques systémiques de l’équipe. Elles résultent du rejet d’un modèle normatif dénoncé comme producteur des symptômes qu’il cherche ensuite à réprimer. Convenons tout d’abord que certains choix sont  courageux (comme celui de renoncer à tout renvoi et de prendre les moyens en conséquence) et d’autres plutôt pertinents (comme cette remise en cause de la pédagogie du contrat critiquée en ce qu’elle demande au départ de la relation d’aide ce qui doit en découler). La technique qui consiste à reporter la décision de sanction à plus tard (pour éviter de réagir sur le coup de la colère) et la reprise systématique de toute transgression en présence d’un tiers (le plus souvent le référent du jeune) est aussi très intéressante. Elle répond à ces situations qui parfois minent les équipes dans les internats, quand on confie aux collègues le soin d’appliquer la punition qu’on vient de décider, ou qu’on les multiplie à l’envie au risque d’accroître les tensions, ou au contraire qu’on ignore les provocations des jeunes, par peur de la confrontation. Mais là, où on ne comprend pas trop, c’est pourquoi les sanctions sont présentées comme anti-thérapeutiques dans le cas de transgressions considérées comme « mineures » (tel que les bagarres, les insultes ou le non respect de l’autre qui sont gérés par des entretiens et un appel à plus de maturité), et tout à fait indispensables en cas d’agression et de vol qui sont dénoncés à la police, (« l’acte délinquant est un acte qui implique la société, et l’adolescent a une dette qu’il doit absolument régler » p. 96).   On a encore plus de mal à suivre l’auteur quand celui-ci explique tranquillement que la satisfaction des besoins du jeune délinquant par la possibilité qui lui serait donnée d’acheter des vêtements, des objets valorisants et du cannabis « pourrait bien devenir une étape utile et porteuse de son changement » ! Au final, un livre riche en considérations très générales et en vignettes cliniques finalement assez banales, mais qui répond bien peu à l’ambition affichée d’expliquer par le menu comment ne pas punir et ne pas renvoyer dans les situations jugées difficiles. Si l’auteur veut vraiment convaincre et atteindre l’objectif de rendre sa technique transposable, il lui faudra certainement être un peu plus concret en donnant des descriptions bien plus précises du mode de résolution des conflits intenses et graves auxquels son établissement ne manque pas d’être confronté.


Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°734 ■ 16/12/2004