"Parole d’éduc" Educateur spécialisé au quotidien

Joseph ROUZEL, érès, 1995, 204 p.

Joseph Rouzel, bien connu des lecteurs de Lien Social, a commencé dans le métier d’éducateur en créant un lieu de vie. Puis il travaille dans un centre d’accueil pour toxicomanes puis en internat pour adolescents et jeunes majeurs. En publiant son livre, il rompt donc avec la tradition qui veut que beaucoup de spécialistes (universitaires, sociologues, psychologues, juristes, ...) consacrent des études et des recherches sur le métier de l’éducation spécialisé, mais que les intéressés eux-mêmes brillent par leur silence et leur absence. Les éditions érès ont contribué en 1995 à casser cette dynamique du vide en éditant coup sur coup 3 ouvrages de professionnels et en ouvrant une collection (dirigée d’ailleurs par Joseph Rouzel) consacrée à un secteur qui regroupe tout de même 40.000 diplômés.

C’est donc comme acteur de terrain que l’auteur intervient sur la scène éditoriale. Il a choisi de regrouper toute une série de textes (articles, interventions de colloque, essais) qu’il a écrits entre 1985 et 1995 et qui retracent sa trajectoire prospective. Si on devait trouver un sous-titre à cet ouvrage, on pourrait paraphraser Dolto: « la pratique éducative aux risques de la psychanalyse ».

L’éducateur est confronté à trois tâches essentielles. Tout d’abord, aider l’enfant à assumer la castration par l’intégration des règles sociales et l’accès à la sublimation. Ensuite et simultanément, lui permettre d’entrer dans le monde de la symbolisation qui fonde l’échange et l’expression du désir. Enfin, aménager un espace de création et de médiation qui permette à l’enfant de s’affirmer en tant que sujet.

Si des concepts freudiens apparaissent ici, il ne faut pas tomber dans la confusion. L’action analytique et l’action éducative sont fondamentalement différentes en ce qu’elles interviennent sur l’inconscient pour la première et sur les forces du Moi pour la seconde. Joseph Rouzel, quant à lui, est à la fois éducateur et psychanalyste. Son discours passe d’un champ à l’autre, en s’appuyant beaucoup sur les concepts de l’Ecole Lacanienne. S’essayant à expliciter -avec reconnaissons-le un certain succès-  les notions absconses de Jacques Lacan notamment sur l’importance du langage si chevillé au corps qu’il permet au sujet de s’exprimer dans toute sa profondeur et sa complexité, le livre constitue une élaboration qui ravira les amateurs de méandres psychanalytiques. Il pourra aussi contribuer à éclairer et initier les candides curieux et soucieux d’y voir plus clair dans cette façon d’aborder le monde. Suffira-t-il  à convaincre les sceptiques et les méfiants (race dont je m’honore de faire partie)? J’en doute ! Mais, après tout, tel n’était pas le but de l’auteur qui reconnaît les risques qu’il prend: « je conçois que ce parti pris agace et puisse être taxé de partial, voire de partiel ... ». Restent une écriture fluide et une culture encyclopédique qui rendent la lecture de l’ensemble, ma foi, fort agréable.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°339 ■ 08/02/1996