Educatrice auprès des populations défavorisées. La part des choses
Claire PINON, l’Harmattan, 2005, 144 p.
La situation de précarité se définit par l’absence d’une ou plusieurs sécurités et de la mobilisation de toutes les énergies pour tenter de préserver ou rétablir un minimum d’équilibre, nous explique d’emblée Claire Pinon. Cet état de fait peut confronter la personne à des ruptures en matière d’hébergement (avec ce que cela implique en terme de remise en cause de l’attachement à un lieu géographique et de la permanence à des repères spatiaux-temporels, mais aussi de l’intimité et de l’hygiène), en matière d’emploi (avec ce que cela induit dans l’annihilation du sentiment d’utilité sociale et de la capacité à être acteur) ou encore en matière de santé. C’est toute l’image que le sujet a de lui-même et la notion de dignité qui sont minées. Aux fragilités initiales de l’usager viennent s’ajouter les réponses partielles et fragmentées d’une action sociale qui développe et entretient ce qu’elle prétend combattre. C’est dans ce contexte que le professionnel intervient dans une dynamique qui se veut différente de celle du caritatif. Là où la charité cantonne la personne à recevoir sans avoir de comptes à rendre, le travailleur social la place dans une position d’échange, avec des droits et des devoirs. C’est là une différence essentielle. Si l’éducateur conseille, oriente, négocie, pose un cadre et des limites, voire des sanctions, il sait aussi recevoir et apprendre de l’autre. Travailler à partir du désir de celui qu’on a en face de soi contraint à respecter son autonomie, à réduire la projection qu’on peut avoir sur le projet qu’il élabore et chercher à ce qu’il se l’approprie plutôt qu’il ne se conforme. Cette quête se heurte parfois à l’incapacité de poser une demande explicite ou même d’échanger. Tout doit être fait pour que ce soit possible, même s’il faut accepter que parfois les efforts ne débouchent pas sur les résultats escomptés. Comment alors amener à une mobilisation, tout en respectant la fragilité de chacun ? C’est une démarche de tous les instants qui privilégie les initiatives de l’usager plutôt qu’une intervention se substituant à lui, qui encourage ses stratégies d’adaptation et qui l’incite à accepter des réponses qui ne sont pas toujours celles attendues et souhaitées. Aider les populations en difficulté, c’est avant tout valoriser leur potentiel : « si l’on conforte l’individu dans une position d’incapable ou de victime, on met un frein à son évolution, créant ainsi le risque de l’assigner à une place d’exclu » (p.108) Ce n’est pas réagir en miroir, mais tout au contraire travailler sur le temps, savoir différer une réponse, se distancier avec l’urgence et être soi-même capable d’anticiper et de se projeter. Finalement, l’éducateur doit trouver le juste milieu entre se dédouaner de ses responsabilités en plaçant celles de l’usager en avant et nier ce dernier, en pensant sa place et son rôle comme indispensables.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°798 ■ 25/05/2006