Sales gosses. Tribulations d’un éduc

Jef CURVALE, Dominique DELPIROUX, JIHO, érès, 2005, 198 p.

Le lecteur doit être prévenu : il va hurler de rire ! Mais il va aussi frémir d’horreur ! Lorsqu’un journaliste prête sa plume et un dessinateur ses crayons pour donner corps aux souvenirs d’un éducateur, cela donne un résultat détonnant. Jef Curvale a commencé à exercer son métier, il y a de cela très longtemps : « c’était encore l’âge de pierre de la rééducation. Ces gosses qui faisaient peur, on préférait les boucler que les comprendre » (p.61) Mais quand on les lâchait, c’était une quinzaine de délinquants livré pendant huit jours à un jeune professionnel inexpérimenté et seul. Depuis cette époque héroïque, il a tout traversé… et beaucoup croisé de situations autant tragiques que cocasses : des gosses qui meurent pendu ou à la suite d’une hydrocution, d’autres qui l’ont copieusement roulé dans la farine, d’autres encore qui ont réussi à s’en sortir grâce à la confiance qu’il a pu tisser avec eux. Quarante tranches de vie qui présentent avec force et émotion un métier à nul autre pareil qui ne peut parfois fonctionner qu’en prenant le contre-pied de toute orthodoxie. « Les scientifiques, face à ses nombres, ses signes, parle un langage codé. La logique s’impose. Ces lois sont intangibles. L’éducateur n’a pas cette chance. Dans son univers, il n’y a pas une logique. Il y a des logiques. La sienne, celle du juge ou du policier. Celle du voleur ou du bagarreur » A l’image de Valérie, 14 ans, errante et fugueuse, qui ne pourra être apprivoisée qu’après qu’on l’ait autorisée à installer sa « chambre » dans la paille, aux côtés des chevaux : elle y obtiendra des résultats scolaires honorables. Ou encore Eric, petit revendeur de cannabis, répondant par défi à sa juge qui l’interroge sur son projet professionnel, qu’il veut devenir « dresseur de poissons rouges ». Qu’à cela ne tienne : tout sera mis en œuvre pour lui permettre de satisfaire cette noble ambition. Mais remplir d’agrès, de poteaux et de trapèzes un aquarium et tenter le dressage de ces fiers animaux en leur promettant daphnés, mouches et miettes de pain n’est guère concluant. Jusqu’au jour où l’adolescent, doutant définitivement de sa vocation, décidera finalement de devenir palefrenier. A compter de ce jour, « il n’a plus jamais eu à faire à un tribunal. Ses barrettes, c’est désormais en équitation qu’il les ramasse » Tour à tour drôles et dramatiques, valorisant pour l’éducateur et le plaçant en bien mauvaise posture, montrant la force de son action et en en pointant les limites, ces récits constituent un condensé d’une vie professionnelle qui vaut bien des traités de psychopédagogie. A lire pour se détendre mais aussi pour réfléchir, pour se rassurer et pour donner apporter un sens et un contenu à un travail qu’on a toujours un peu de mal à classifier.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°775 ■ 24/11/2005