Oser le verbe aimer en éducation spécialisée
GABERAN Philippe, Éd. Erès, 2019, 294 p.
Comme il est de géniteurs qui ne deviendront jamais parents, il est des professionnels qui, enfermés dans leur outillage technique, ne réussiront jamais à s’engager affectivement. Cette marche à franchir est pourtant celle qui permet d’aller au-delà des apparences, d’envisager des modèles explicatifs jusque-là inconnus ou inexplorés et d’ouvrir un ensemble de possibles à partir d’indices parfois à peine visibles ou audibles. Remplit son rôle d’éducateur celle ou celui qui, acceptant de se faire déstabiliser par l’inattendu, aide l’enfant à accéder à son humanité et à accéder au sens de son existence. Et ce n’est ni par les procédures aseptisées ou les protocoles formatés, ni par les référentiels de bonnes conduites ou les processus de normalisation et de rationalisation qui prétendent maîtriser les trajectoires de vie. Ce qui entre en jeu, ce sont la sensibilité, les émotions, les affects … tout ce savoir-être marqué par une forte présence à soi, autant qu’à l’autre. C’est une haute implication affective et un tissage de lien, allant bien au-delà de la simple prise en charge, qui permettent d’atteindre ce point d’inflexion à partir duquel la trajectoire de vie de l’enfant peut s’incurver. Si un éducateur aime un enfant, ce n’est ni avec d’excessives intentions, ni pour consommer l’objet aimé, mais à travers la projection qu’il se fait de son possible advenir. Il y a certes un risque physique et psychique pour lui de proposer cet attachement réciproque à partir duquel ils vont cheminer ensemble : celui de se voir bousculé, contesté, voire malmené. Mais, c’est de cette façon que l’enfant vérifie la solidité du pilier qui lui est proposé pour s’agripper, se réfugier et se construire. Contrairement à ce qu’on nous en dit, loin de lui nuire, les affects renforcent la relation éducative.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1287 ■ 19/01/2021