Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains au XVIIIème et XIXème siècle
CHAMAYOU Grégoire, Ed. La découverte, 2014, 424 p.
L’expérimentation médicale constitue une source indispensable d’expérience pour permettre de mieux comprendre les maladies et de mieux les soigner. Mais, agir sur l’être humain se heurte à nombre de réserves éthiques. L’auteur nous plonge dans les étonnants débats des siècles passés démontrant jusqu’où l’on peut pousser les discours de déshumanisation. Ainsi, l’estimation du corps des condamnés à mort, des bagnards, des détenus, des orphelins, des prostituées, des internés, des malades des hôpitaux, des paralytiques, des esclaves, des colonisés ou des moribonds fut à ce point dévalorisée, qu’on considéra sans grand remord, pouvoir les employer comme du vulgaire matériel expérimental. S’établit alors une mise en balance utilitariste entre le sort de quelques individus et les progrès de l’humanité. Les suppliciés ? Puisque ces condamnés allaient mourir, autant que leur mort serve à quelque chose et qu’ils se sacrifient pour le bien commun. Les esclaves ? S’ils existent biologiquement, ils sont dépouillés de toute condition juridique et sont déjà morts socialement : leur sort s’aligne donc sur celui des animaux. L’inoculation exposant des publics cobayes à un danger certain, pour les protéger d’un risque incertain ? Autant choisir des orphelins ou encore des prisonniers, comme le fera Pasteur en sollicitant l’empereur du Brésil pour qu’il lui permette d’utiliser ses condamnés à mort. Les tests sur les patients pauvres des hôpitaux ? En faisant progresser la médecine, ils paient ainsi leurs dettes aux riches qui financent leurs soins. Progressivement pourtant, une déontologie s’imposera, rejetant les expérimentations pathologiques qui reproduisent artificiellement une maladie pour en étudier l’étiologie et ne considérant comme licites que les essais cliniques appliqués dans l’intérêt du patient et avec son consentement éclairé.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1164 ■ 28/05/2015