Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy & L’efficace des années quarante
CHAUVIERE Michel, L’Harmattan, 2009, 319 p.
Heureuse initiative que cette réédition d’un classique épuisé, publié initialement en 1980, aux éditions ouvrières, qui sonna en son temps comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Imaginez donc : le métier d’éducateur qui situe, volontiers et à juste raison, sa filiation dans les droits de l’homme et l’humanisme, aurait ses origines dans l’un des régimes anti-démocratiques les plus honnis, dont la fréquentation nauséabonde nécessite de plonger dans les poubelles de l’histoire ! Michel Chauvière, renonçant au politiquement correct, établit pourtant avec précision cet héritage. Comment expliquer ce paradoxe ? Le régime de Vichy fut très vite confronté à une montée tant de la délinquance des mineurs (qui triple entre 1939 et 1942), que de l’enfance en danger (les vagabonds et enfants sur qui pèse un risque moral seront 600.000 à la fin de la guerre). Les prisons sont pleines et, de toute façon, aux mains de l’occupant. Le ministère de l’Education nationale, qui dominait jusque là la scène de l’enfance, est décrédibilisé aux yeux d’un régime qui accuse les instituteurs d’être responsables, entre autres, de la défaite. Le ministère de la santé va alors prendre le relais, en plaçant ce qu’on appelait alors « l’enfance inassimilable », sous la légitimité du pouvoir médical et plus particulièrement des psychiatres. Afin de réussir à distinguer les pervers constitutionnels inamendables, des pervertis accessibles à la rééducation, le principe de l’observation et du triage se généralise. Deux professions vont alors émerger au service de cette action de repérage : les psychologues et les éducateurs, placés sous l’autorité d’un médecin chargé de synthétiser les données ainsi recueillies. S’appuyant sur son idéal de relèvement permettant de créer l’homme nouveau, le scoutisme fournit massivement les premiers encadrants. Ses valeurs d’alors sont en phase avec le régime : appel au sentiment de l’honneur, exemple permanent du chef, esprit patriotique… Il introduira l’accroche affective et la vie en petit groupe au contact direct des mineurs et influencera le profil type de l’éducateur (virilité, maîtrise de soi, moralité, engagement personnel…). La loi de 1942 sur l’enfance délinquante inspirera largement l’ordonnance du 2 février 1945. L’épuration touchera peu les notables et les techniciens de l’enfance inadaptée du régime de Vichy, la France de la libération puisant, sans réserve, dans cette précieuse pépinière. Les ARSEA, créées en 1943 seront reconduites, passant de 10 à 17, en 1947. Les CREAI prendront le relais en 1964. Pas de doute : les éducateurs sont bel et bien un produit dérivé de Vichy.