Parrainer les enfants d’à côté

Entretien avec Catherine Enjolet mené par Thomas Bout, Ed. Rue de l’échiquier, 2010, 128 p.

Il y a des adultes qui tentent de tourner le dos à leur enfance déchirée, en essayant de réussir, malgré elle, le reste de leur existence. Catherine Enjolet, elle, n’a jamais pu oublier cette partie de sa vie. Elle l’a même décrite dans plusieurs livres. Mais, elle ne s’est pas contentée de mettre des mots sur cette douloureuse expérience. Elle a voulu éviter que certains enfants vivent la même détresse qu’elle. En 1990, elle crée l’association Parrains par’mille qui propose un parrainage aux enfants et aux familles qui le souhaitent. Avec 100.000 enfants en danger, deux millions d’enfants pauvres, trois millions d’enfants isolés et 800.000 orphelins de père et de mère, il y a de quoi faire. Il ne s’agit ni de faire concurrence aux services sociaux, ni de prétendre se substituer aux parents biologiques, mais de proposer des adultes relais à des enfants en attente d’une relation bienveillante. Aux liens du sang qu’assument les familles naturelles, se rajoutent dans une logique de complémentarité les liens du sens de ces parrains et marraines. L’association veille à la qualité de la démarche de ses bénévoles. Les candidats qui apparaissent dans la demande et dans un manque à combler sont écartés. Seuls sont retenus ceux qui se montrent en capacité d’offrir leur temps et leur affection, acceptant ainsi de constituer un authentique tiers permettant à l’enfant de s’ouvrir sur l’altérité. Il n’y a aucune indemnisation, ni paiement du service ainsi rendu : on est dans le don réciproque, le parrain et son filleul s’enrichissant mutuellement de la rencontre et du lien qui se tisse entre eux. L’espace familial est considéré comme un lieu privé où il est mal venu de faire intrusion. Bien sûr, un sentiment de jalousie et de rivalité peut se manifester chez un parent, un conflit de loyauté naître chez l’enfant et une tentation d’évincement chez le parrain. C’est pourquoi, aucun statut juridique ne vient pérenniser la relation établie, qui ne peut être que librement consentie. Le contrat moral qui s’établit alors ne peut fonctionner que sur la base d’un climat de confiance, préalable et condition sine qua non d’un lien apaisant et constructif. Catherine Enjolet revendique de se mêler de ce qui ne le regarde pas, dès lors où un enfant est en difficulté. Ce n’est là, ni un droit, ni un devoir, mais bien plutôt un don d’ingérence, explique-t-elle. Un enfant ne peut se construire durablement, qu’en s’appuyant sur les repères stables que lui procure une sécurité affective. De tous temps, des parents de secours ont été utilisés (co-parents, symbolique ou spirituels). Les parrains par’mille jouent ce rôle de ces tuteurs de résilience. Ils sont 4.000 dans toute la France. Un grain de sable peut-être, mais un grain de sable utile.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1053 ■ 08/03/2012