L’intérêt de l’enfant. Genèse et usage d’une notion équivoque en protection de l’enfance

BRAUKMANN Béatrice et BEHLOUL Salim, Ed. L’Harmattan, 2018, 209 p.

La notion de l’intérêt de l’enfant est à ce point galvaudée, que chacun y place ce qu’il souhaite y trouver. C’est un morceau de caoutchouc sur lequel chaque juge tire pour lui donner la forme qu’il souhaite. C’est un concept si subjectif et si manipulable, si mou et si flou, dépendant essentiellement de ce que veulent en retirer les adultes qu’il autorise tous les abus. Les critiques répertoriées d’emblée par les auteurs permettent de situer combien cette idée s’avère au final troublante, inconfortable, inutile, mais … indispensable. La polémique enfle dès lors où le substantif de « supérieur » est accolé à « intérêt ». Supérieur à quoi ? À l’intérêt des parents ? À l’intérêt de la société ? Et qui en décide ? On frise l’émeute ! D’autant que l’enfant frappé d’incapacité juridique jusqu’à ses 18 ans est alors affublé d’une responsabilité bien trop grande pour sa personnalité encore fragile et en pleine croissance. Cette attribution vient sacraliser une hyper individualisation. L’enfant serait donc lié à ses parents dans une relation nouvelle, sous l’ère d’un contrat ou chacun serait sur un pied d’égalité dans un rapport de partenariat. Comment, dans ces conditions, réussir à unifier la notion d’intérêt de l’enfant comme norme d’une opérationnalité sociale acceptable par tous ? Il y a d’abord l’obligation de sécurité et de protection contre toutes les formes de risques de danger et de maltraitance. Jusque-là, tout va bien. Vient ensuite l’obligation de lui garantir des droits identifiés par la convention internationale des droits de l’enfant (éducation, santé, culture, liberté de pensée…). Mais décréter l’intérêt de l’enfant ne se limite pas simplement à l’application instrumentale de ses besoins répertoriés. Car, se pose la question centrale : quelle conception du bonheur et du bien-être privilégier ? Celle-ci est déjà bien complexe à définir pour les adultes, pour être facilement identifiable pour des enfants. Les auteurs passent en revue les tenants et les aboutissants de cette problématique, revenant sur les notions d’intérêt, d’enfance, de droit, resituées dans l’histoire. Ils démontrent ainsi comment l’application sur le terrain est bien plus malaisée qu’on ne le croit, impliquant des enjeux contradictoires. Pas de révélation donc dans ce livre. Le lecteur attendant la bonne réponse s’en trouvera déçu. Mais, une mise en perspective savante et rigoureuse posant avec précision les termes du débat et son contexte, laissant à chacun la possibilité de rentrer dans la complexité de la question.

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1245 ■ 21/02/2017