Tutelles et réseaux. Changer les pratiques médico-sociales

Françoise CHARRIER & all, érès, 2005, 272 p.

C’est en 1966 qu’est instaurée la tutelle aux prestations sociales. En 1968, la protection s’étendra aux majeurs. L’on connaît les trois degrés de cette assistance qui place la personne dans une proportion croissante de dépendance juridique : la curatelle, la curatelle renforcée et la tutelle (la sauvegarde étant une mesure provisoire). Pendant longtemps, cette mesure sera limitée aux déficients mentaux et aux personnes âgées tombant dans la confusion. Aujourd’hui, sous l’effet du vieillissement de la population, de l’apparition des nouveaux risques d’exclusion et de le désinstitutionnalisation du secteur psychiatrique … elle s’est étendue aux personnes sur endettées, à celles qui connaissent des troubles psychiques ou un parcours chaotiques (divorce, alcool, toxicomanie, marginalisation …). L’exercice du métier de tuteur ne requière aucun diplôme spécifique, étant ouvert aux détenteurs des diplômes d’éducateur spécialisé, d’assistant de service social ou de conseillère en économie sociale et familiale. Comme toutes les autres professions du social, ces tuteurs ont connu les mêmes évolutions visant à porter un autre regard sur les personnes vulnérables. Il est question de respect des choix de vie de l’usager sous protection, de responsabilisation des bénéficiaires incités à être acteurs, mais aussi de coordination et de liaison des actions médico-sociales. Car, les mesures de protection semblent intervenir de plus en plus quand les référents sociaux ont la conviction d’avoir atteint les limites de leur intervention. D’où l’idée de trois associations tutélaires de Vendée d’imaginer un protocole qui réponde au traitement fragmenté des réponses sociales trop opposées à la nécessaire vision globale de la personne aidée. Elles se sont lancées dans un réseau départemental susceptible d’aborder les situations compliquées avant qu’elles ne se dégradent. C’est ce que raconte cet ouvrage fort intéressant qui montre bien les difficultés de ce type d’entreprise (convaincre les décideurs de la pertinence de la valider et les acteurs d’y rester mobilisés durablement), mais aussi ses avantages (permettre à chacun de sortir de sa solitude, en s’enrichissant des expériences et connaissances des autres). Jusqu’où accepter de livrer aux autres son travail et ainsi s’exposer à la contradiction ? Il n’est pas de réseau sans remise en cause potentielle de ses propres pratiques, non dans une logique de savoir qui a raison, mais  d’une approche concertée qui prend en compte les différents aspects de la personne. « Ce n’est pas les grandes déclarations exaltantes ou les subites idées lumineuses qui font avancer un groupe, c’est la construction méthodique et ordonnée pas à pas, impliquant la contribution de chacun, dans la durée qui constitue le ciment essentiel à la constitution d’un réseau » (p.93) Envisager des solutions relève dès lors non d’une tentative d’imposer son point de vue, mais d’une démarche visant à balayer le champ des possibles, le repérage des limites de l’intervention de chacun et l’élaboration des nécessaires articulations. Reste la question des limites imposées par le secret professionnel.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°797 ■ 18/05/2006