De l’humour et du rire dans le travail social
BOUQUET Brigitte & RIFFAULT Jacques (coordonné par), Vie Sociale n°2/2010 117 p.
Face à l’accroissement de la précarité, à la pression de la demande sociale, à l’exigence managériale, à l’allongement des lignes hiérarchiques et aux injonctions paradoxales, les travailleurs sociaux auraient toutes les raisons de s’enfermer dans le registre triste et mortifère de la doléance et de la plainte. Pour se protéger de l’usure et affronter aux mieux toutes ces difficultés qui s’accumulent, ils disposent d’un certain nombre de ressources. L’une d’entre elles réside dans les réservoirs de rire qui constituent une fonction quasi-professionnelle où chacun(e) peut puiser, à sa convenance. Bien sûr, certains n’auront guère de mal à forcer leur talent, tandis que d’autres n’y arriverons jamais. Mais, dans tous les cas, convenons-en, s’il est important d’être sérieux, il est dangereux de se prendre au sérieux. Tout peut être l’occasion de réagir : des gestes (mimiques, grimaces, contorsions), des situations (coïncidences, rebondissements, surprises…), des mots (confusions, prononciation, grossièretés…), des répétitions, des rigidités morales, des mœurs décalées… partager ensemble les effets jubilatoires d’une circonstance permet de colorer la relation d’une authenticité, d’une spontanéité et d’un plaisir qui favorisent d’autant plus l’approche du cœur de la problématique, que celle-ci est dégagée d’une partie de la tension et de l’appréhension qui l’entourait. Le rire peut se manifester dans des figures multiples. C’est d’abord celle de l’ironie jouant de l’illusion et du contresens et cherchant à dire le contraire de ce qu’elle affirme. C’est encore la moquerie qui raille les travers réels ou supposés. C’est aussi la dérision qui cherche à blesser, à rabaisser, voire à humilier. Mais, c’est encore la blague et le mot d’esprit qui se rapprochent le plus de cet état d’esprit bien particulier qui structure le rapport au monde, attitude existentielle qui implique en tout premier lieu de savoir rire de soi-même. Cet art multidimensionnel se décline en un certain nombre de gammes allant d’une expression légère et pétillante jusqu’à sa forme la plus noire, grinçante, cynique, en passant par l’effet soupape, la recherche de libération ou encore l’expression contestataire, voire subversive. Quels que soient les répertoires utilisés et les degrés employés, cette forme de communication nécessite une intelligence assez percutante des situations. Ce qui est convoqué, c’est une synthèse rapide permettant de rendre la situation rapidement compréhensible, en quelques mots ou quelques traits. Mais c’est aussi la précision quasi chirurgicale avec laquelle les contrastes et les paradoxes sont saisis et retransmis. Sans oublier la nécessité de ce pas de côté, à la fois source et conséquence d’une prise de recul avec la réalité qui constitue le fondement du travail relationnel de nos professions.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1015 ■ 21/04/2011