Éthique et accompagnement en travail social
DEPENNE Dominique, ESF, 2012, 144 p.
Voilà une réflexion d’une pertinence et d’une intelligence remarquables. Dominique Depenne découpe au scalpel son sujet et cisèle son argumentation, avec précision et force, en s’appuyant sur la pensée d’Emmanuel Levinas, de Georges Palente ou de Miguel Abensour. Son premier souci est de distinguer morale, déontologie et éthique. Il définit la morale comme un ensemble de valeurs délimitant le Bien du Mal, uniformisant les façons d’être et de penser, calibrant et nivelant les individus en des êtres interchangeables, semblables et assimilables. La morale récuse toute contradiction, toute discussion, toute diversité qui viendraient contester le bien fondé de sa puissance fondée sur l’universalité et l’absolu de ses préceptes. La déontologie, quant à elle, constitue une science des devoirs liée à une corporation, qui édicte des règles et circonscrit des postures à partir d’un collectif de références. Parce qu’elle juge et condamne ce qui diffère des principes impératifs qu’elle commande et prescrit, elle peut être considérée comme une forme de morale professionnelle. Pour ce qui est de l’éthique, dénonçant le mythe d’une société homogène, réconciliée et uniforme, elle revendique la pluralité de la condition humaine et voit en chacun un être non seulement unique, singulier et irremplaçable, mais aussi insaisissable, imprévisible et indéterminable. Elle combat la mêmeté et revendique la reconnaissance sans condition de la spécificité d’autrui. Il n’existe pas d’accompagnement digne de ce nom qui ne soit traversée par l’énigme éthique : c’est parce que j’accepte que l’Autre m’échappe que je peux désirer le rencontrer, même si plus je m’approche de lui, plus il s’éloigne de moi. C’est parce que l’autre est étrange et étranger, que je peux le retrouver, en tant qu’être libre. Le travail social doit commencer par la reconnaissance et non par la connaissance. Car vouloir, connaître l’Autre avant de le rencontrer, c’est tenter de maîtriser son incertitude et l’enfermer dans le savoir tout puissant que l’on s’en est fait. « Entrer en relation avec un Autre qu’on a déjà réduit à ce que l’on sait (ou croit savoir) de lui, c’est exactement supprimer toute possibilité de le rencontrer » affirme l’auteur. Alors que reconnaître l’Autre, c’est faire la place à sa différence, à son altérité et à son étrangeté ; c’est accepter de renoncer à sa souveraineté pour s’ouvrir à lui ; c’est respecter inconditionnellement sa singularité. Et l’auteur de critiquer les concepts de prise en charge, de projet individualisé et de travail à l’affectif comme autant de tentatives d’instrumentalisation et de déni d’autrui, leur préférant la rencontre, le projet individuel et l’empathie. Une magnifique leçon de philosophie, à lire absolument.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1077 ■ 04/10/2012