La contre productivité des institutions socio-éducatives. De l’émancipation à l’assignation
BOUHOUIA Tahar, Ed. L’Harmattan, 2015, 141 p.
S’appuyant sur le cheminement d’une association de prévention spécialisée de la région parisienne, Tahar Bouhouia jette un regard lucide et inquiet sur le travail des éducateurs de rue fondé depuis l’origine sur trois principes : l’absence de mandat, l’anonymat et la libre adhésion. L’institutionnalisation toujours refusée et combattue s’est progressivement imposée à eux, sous la pression de tutelles exigeant un fonctionnement lisible et visible. L’autogestion en place depuis la création du service, au milieu des années 1950, a été remplacée par une subordination à une ligne hiérarchique. L’ajustement et l’autorégulation au sein de l’équipe ont laissé place à la supervision du directeur. La cooptation des nouveaux salariés basée sur l’expérience acquise a disparu au profit d’un recrutement classique sur titre. Au principe d’une intervention informelle au « pied levé » s’adaptant à une population juvénile refusant de s’intégrer à des actions préalablement structurées et programmées s’est substituée l’élaboration de plannings, de temporalités et de lieux de travail fixés à l’avance. A cette confiance et à ce droit à l’erreur partie intégrante de la culture de l’association ont succédé l’injonction et l’infantilisation. La technostructure qui s’est mise en place n’a pas tardé à être attirée par le marché porteur de la sécurité. Les professionnels ont été sommés d’entrer dans une synergie avec la police et de se montrer garants de la tranquillité publique, en régulant les incivilités. La multiplication des prescriptions et des normes brident le travail quotidien, paralyse l’initiative et réduit l’autonomie sur le terrain. Les valeurs fondatrices de la prévention spécialisée sont menacées au profit du contrôle social.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1195 ■ 18/10/2016